lundi 2 novembre 2015

Misogynie ambiante

Maiwenn et le procès fait à Mon Roi, une misogynie décomplexée


Mon Roi, le dernier film de Maiwenn sur les écrans depuis environ deux semaines, divise. Ça n’est et ne sera ni le premier ni le dernier film clivant de l’histoire du cinéma. Aucune demi-mesure dans les élans qu’il suscite, engouement absolu ou puissant rejet. Pas si fréquent, mais jusqu’ici rien d’extraordinaire non plus. Mais en revanche, à bien lire les mots choisis par les opposants au film, un constat un peu plus inédit et fortement troublant se dégage : la démonstration d’une violence assez personnelle et misogyne à l’encontre de la réalisatrice, violence émanant souvent dans ce cas précis, il faut le reconnaître, de journalistes de sexe masculin. Et cet angle dérangeant choisi par cette critique assassine : ça n’est pas le film qu’on attaque, le film EST et devient Maiwenn, le sujet et l’auteur ne font plus qu’un au milieu du champ de tir.


 PREMIER PROCÈS : LE NARCISSISME ET LA PARESSE
On connait le penchant autobiographique assumé de la réalisatrice, mais nombre de ses collègues masculins se sont maintes fois prêtés au même exercice sans pour subir à ce point une telle personnification de la critique. Et d’ailleurs quand bien même, depuis quand est il interdit ou paresseux de se raconter ?
C’est bien là la force de la création. Un objet artistique quelqu’il soit, livre, film, tableau, est un traitement déformé par le prisme de son créateur. L’amour selon Truffaut diffère de l’amour selon James Gray, selon Ozon, de l’amour chanté par Piaf ou Alex Beaupain. Ca s’appelle un point de vue, ça s’appelle un regard, et donc un traitement personnel et subjectif de la réalité, dans lequel nous sommes libres de nous reconnaitre ou non. Nous touchons à l’essence même de la fonction cathartique.
Maiwenn n’a jamais prétendu réaliser un documentaire sur le couple. Ce film n’est pas un point de vue sur l’amour, ce film est le récit d’une histoire d’amour. Récit très fortement imprégné du vécu de la réalisatrice, et alors ? Bien particulier celui qui pourrait traiter de l’amour sans être contaminé par sa propre expérience, par sa vision sociale et amoureuse du couple, par son éducation peut-être même ou par son vécu, heureux ou traumatique. Il n’y a rien de plus subjectif que la vision de l’amour. L’amour et le deuil ont toujours trouvé au cinéma, en musique ou en littérature presqu’autant de visions qu’il y a d’individus pour en parler et pour le recevoir.
DEUXIÈME PROCÈS : L'HYSTÉRIE
Mais au delà de cette accusation de paresse créative et de narcissisme ce qui choque dans certains commentaires est cette évocation récurrente d’impudeur et surtout d’hystérie. Maiwenn devrait donc, pour ne pas desservir la cause féminine, filmer des amours sages et des personnages en retrait. Très excitant et prometteur en effet pour un sujet comme la passion amoureuse.
Parce que oui, l’absurdité est là.
La passion n’est pas tiède sinon ça s'appelle un amour raisonnable. Là où il y a passion il y a démesure, dans la joie et la souffrance, il y a dépendance.
Petit rappel éthymologique : passion, du latin patior, souffrir, éprouver, endurer. 
Mais quand il s’agit du traitement de la passion par Maiwenn, nous arrivons à une redéfinition journalistique contemporaine intéressante, que nous mettrons sur le dos de la disparition des cours de latin et grec au collège (décidément, foutue reforme..)
La passion selon Maiwenn donc : hystérie. Hystérie. Du latin « hystericus, relatif à l’utérus »
Nous y sommes, CQFD, la passion = chez les hommes, élan sage et raisonnable, sans débordement ni souffrance. Chez les femmes : en raison de la présence constatée d’un utérus, acte violent, fatiguant, bruyant et démesuré. Possible et forte dépendance affective à envisager.
Le trait est ici délibérément forcé, jusqu’à la caricature, mais c’est pourtant bien ce qui se lit ces jours ci dans et entre les lignes de certaines critiques.
 Quand le grand Jacques Brel chante, suant de désespoir amoureux « laisse moi devenir l’ombre de ton ombre, l’ombre de ta main, l’ombre de ton chien » on crie au génie, on l’inscrit au panthéon des grands interprètes. « Laisse moi devenir l’ombre de ton chien »… Quand Emmanuelle Bercot pleure, raconte, hurle, mouche sa peine et cet amour qui la possède toute entière nous sommes dans l’hystérie.
Pas nous d’ailleurs, Maiwenn. Maiwenn est dans l’hystérie, puisqu’elle filme l’hystérie. Donc j’imagine que Scorsese est un être d’une violence inouïe lui qui la filme si souvent, que Cronenberg est sans doute mi humain mi machine, et que Marc Dorcel….ok.
 Puisque nous sommes dans une approche autobiographique et sans filtre ou presque, on en oublie de distinguer le sujet de la manière dont il est filmé, de distinguer le film de son auteur. La fonction du critique n’est pas de donner son point de vue sur la passion amoureuse, laissons cet exercice aux philosophes ou aux psychanalystes. Non, le rôle de la critique serait de commenter la qualité du traitement de la passion par Maiwenn : scénario, dialogues, direction d’acteurs, lumière, réalisation, rythme.. Mais la réalisatrice n’est pas observée comme telle. Elle est jugée sur sa vision du sujet. Elle n’est alors plus une cinéaste, elle est ramenée à un statut de femme, qui nous livrerait un point de vue hystérique sur une folle aimant un fou qui la rendrait encore plus folle.

Pierre Murat pour Télérama :
« Maiwenn croit que son travail est fini, alors qu’il n’a même pas commencé. Dès qu’il dépasse deux heures, elle arrête net son bric-à-brac et s’en va au Festival de Cannes, 
où les sélectionneurs l’adorent : elle se retrouve en compétition à chaque fois ».
 Voilà, tout à fait ça, Maiwenn s’amuse avec sa caméra, puis quand elle en a marre, elle passe à autre chose et file à Cannes, parce qu’elle est futile et mondaine, aime les jolies robes et les tapis rouges. Et puis à Cannes on la sélectionne parce qu’elle est belle. De là à dire qu’elle a bien de la chance avec si peu de talent d’être une jolie fille…
Une démarche artistique ? Mais vous n’y pensez pas..
Nous voilà au coeur d'un jugement personnel insultant et dégradant, ne laissant jamais, jamais à la réalisatrice le bénéfice du doute sur l’intention, la démarche, l’analyse d’un vécu et sa transcription cinématographique, sur la décision d’une direction artistique, d’un parti pris, d’un choix d’acteurs et de leur direction.

VERDICT : UN GRAND FILM
En regardant Mon Roi j’ai vu de beaux plans servant l’histoire et les acteurs, pas ou peu de caméra épaule, je n’ai pas vu de violence ni de soubresauts dans le filmage, dans le montage, dans le choix des musiques. Rien de démonstratif ou de fou, mais en revanche une réalisation maitrisée, réfléchie, j’ai même entendu des silences, si rares au cinéma. J’ai en effet vu une réalisatrice prendre le temps de raconter les montagnes russes d’une vie amoureuse, prendre le temps de raconter aussi la reconstruction. Ne pas trop en montrer, maitriser l’ellipse. Montrer aussi l’important qui se joue dans les moments ordinaires, dans le quotidien. La valeur du détail, du petit rien, pour détruire ou se reconstruire. Pas de réalisatrice hystérique à l’horizon, mais une réalisatrice qui sait, comme peu de ses collègues, quelque soit leur sexe, filmer au microscope l’intime derrière l’intime. J'ai simplement vu parfois à l’image des personnages violemment heureux ou malheureux, vu une histoire qui, par moments, ne vous en déplaise chèr(e)s critiques, rappelle la vraie vie, parfois son raccourci, parfois sa version romancée, parfois crue, parfois pas, bref, j’ai vu un film.
 Je ne suis pas féministe. Je ne crois pas à la revendication féminine, je crois qu’il y a aujourd’hui dans le domaine du cinéma, de la musique, de la littérature, de la politique, ou du sport et du journalisme des femmes tellement brillantes qu’il n’y a pas nécessité à revendiquer, il y a juste en revanche une forte nécessité à constater et à faire savoir. Que Maiwenn soit un homme ou une femme m’importe peu. J’ai simplement trouvé Mon roi bouleversant, vénéneux et juste. Juste dans son traitement de la passion, de la dépendance, juste dans l’expression de la difficulté à renoncer, à faire le deuil, à se désintoxiquer des extrêmes. J’ai vu des personnages prisonniers d’eux même, pour le meilleur et pour le pire. J’ai vu des acteurs précis et abandonnés, bien dirigés ou alors intelligemment laissés libres. J’ai vu une belle lumière, des cadres pensés, des personnages secondaires attachants et utiles à l’histoire, parfois médiateurs entre le spectateur et les deux protagonistes.
 Mon Roi est un grand film, sur un grand sujet. Je n’ai pas été touchée parce que je suis une femme qui a vu à l’écran souffrir une femme, filmée par une femme se racontant.
J’ai été touchée parce que j’aime le cinéma, les grands réalisateurs et raconteurs d’histoires. Passionnément même, ça tombe bien.

1 commentaire:

Tarteenpassion a dit…

Bravo, Elodie ! Bien dit !