mardi 12 mai 2015

Justice des Mineurs


Un article d'Emmanuelle Bercot dans le Huffington Post du 12 mai 2015

JUSTICE - La justice des mineurs, en France, est fondée sur l'idée que rien n'est totalement joué d'avance pour un enfant et qu'avec une action éducative, il est possible de stopper la dégringolade, et de reprendre les choses en main. Comment gérer cela sans baisser les bras, c'est ce que raconte "La tête Haute".
Enfant, j'ai été marquée par une visite à mon oncle éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, sur les lieux d'un camp organisé le long d'une plage en Bretagne. Il s'occupait de jeunes délinquants - parmi eux, certains enfants criminels. Je sentais bien qu'ils n'avaient pas eu comme moi la chance d'être "élevés", éduqués, que par-dessus tout c'est de protection dont ils avaient manqué, et d'amour stable. J'enviais alors ce que je croyais être une liberté: pouvoir être hors de la bonne conduite. Être rebelle à l'autorité et aux conventions. Des "enfants sauvages". Fascinée par leurs comportements, par leurs attitudes, par leur effronterie et par leurs délits ou crimes, leurs histoires tragiques, je n'en étais pas moins saisie par le travail fait par mon oncle et les autres éducateurs pour les ramener sur le droit chemin, comme on dit, les éduquer, leur apprendre à s'aimer et à aimer, à respecter les autres, mais d'abord eux-mêmes. Aujourd'hui, en observant des jeunes délinquants, je n'ai plus cette fascination enfantine, mais de la compassion et de la compréhension pour ces enfants qui ont été abîmés par des histoires familiales (toujours) dramatiques, (presque toujours) le manque d'argent, et bien souvent une défaillance de leurs parents, puis du système scolaire, et un manque d'amour ravageur qui les laisse livrés à eux-mêmes, sans valeurs, sans aucune perspective ni espoir, à la dérive, pris dans une spirale que seuls les éducateurs, les associations et les juges peuvent alors aider à enrayer.

Ces souvenirs d'enfance ont cheminé en moi, au point d'avoir songé adolescente, à devenir juge des enfants, puis d'y avoir puisé, aujourd'hui cinéaste, l'envie, la nécessité d'un film.

L'éducation -à commencer par celle de ses propres enfants, quand on en a- est à mes yeux ce qu'il y a de plus difficile mais aussi de plus passionnant au monde. C'est notre mission suprême. C'est en interrogeant mon oncle sur ses souvenirs, que j'ai puisé les prémices de "La Tête Haute". Il avait été très lié à un jeune délinquant dont il s'était occupé durant de longues années, en association avec une juge des enfants proche de la retraite. Ce jeune s'était attaché à lui autant qu'à elle. Et un jour, la juge avait prononcé cette phrase, disant à mon oncle: "Pour lui, vous êtes sa mère et je suis son père". La délinquance est -dans la plupart des cas, comme les statistiques le prouvent- un passage provisoire, et ne peut s'expliquer que par une carence éducative. La justice des mineurs est fondée sur l'idée que rien n'est totalement joué d'avance pour un enfant et qu'avec une action éducative, il est possible de stopper la dégringolade, et de reprendre les choses en main. Comment gérer cela sans baisser les bras, c'est ce que raconte le film.
A l'écriture du scénario, a précédé un travail d'enquête assidu, sur le terrain. Afin que tout soit vraisemblable, et juste, ce qui est la première de mes préoccupations en matière de fiction. Ma co-scénariste, Marcia Romano, et moi, avons eu la chance d'être aidées par le Juge Thierry Baranger, actuellement président du Tribunal pour enfants de Paris, qui a été sensible à notre projet et nous a ouvert les portes de son tribunal, acceptant finalement d'être consultant sur le scénario, dont il a suivi toutes les étapes. Les dialogues notamment -puisque c'est un film qui repose puissamment sur la parole- se devaient d'être absolument justes. Nous avons, chacune à notre tour, effectué un long stage au Tribunal pour Enfants de Paris, afin de nourrir le travail d'écriture puis de mise en scène en observant précisément comment se déroulent les choses, verbalement, physiquement, dans le bureau d'un juge, au contact de ces enfants en souffrance et de ces adultes qui consacrent leur vie à combler le défaut d'éducation qui les a menés là où ils sont.
Nous avons été dans les centres éducatifs, ouverts, fermés, les établissements pénitentiaires pour mineurs, et chaque fois, nous avons été bouleversées, d'une part par la prise de conscience que ces mineurs à la dérive ne sont encore que des enfants, et que le premier de leur droit est d'être protégés et éduqués, parce qu'il n'y a pas de fatalité, parce qu'il n'est jamais trop tard, parce qu'il n'y a pas de déterminisme social, parce qu'aucun enfant ne naît violent et délinquant... Et d'autre part, et elle fut tout aussi bouleversante, la prise de conscience de l'énergie, du dévouement, de la patience, de la foi en l'être humain, de l'opiniâtreté que ces éducateurs et ces juges consacrent à sortir ces jeunes du fossé, coûte que coûte, malgré les obstacles, les vagues de découragement, les ingratitudes, les injures et les violences, en apportant finalement simplement l'attention dont ces enfants ont tant manqué.
Les juges le disent, le socle de leur métier c'est de créer "du lien" avec le jeune, au fil du temps et des années. Ce n'est qu'à travers ce lien que le travail s'accomplit. Petite graine par petite graine. Jusqu'à ce qu'un jour, il y en ait une, on ne sait pas laquelle, et on ne sait pas pourquoi, qui germe.
Cependant, à l'inverse du cinéma qui à travers la fiction peut tout se permettre, l'affect doit être exclu. Combien de fois ai-je dû ravaler mes larmes lors d'audiences dans les bureaux de juges des enfants? Que ce soit en assistance éducative ou en matière pénale, les enfants qui sont suivis sont en souffrance, et il n'y a pas pire épreuve que la vision d'un enfant qui souffre.
Qu'ils doivent être solides, sains, équilibrés, ces travailleurs de la justice des mineurs pour ne pas s'effondrer à leur tour...
Et pourtant, quoi d'autre que l'amour circule dans ces bureaux, ces tribunaux, ces centres éducatifs, ces structures associatives? C'est ce que raconte aussi La Tête Haute.
Ces éducateurs, magistrats, travailleurs associatifs, avocats, qui agissent avec un engagement sans pareil pour la justice des mineurs, je leur voue une admiration sans borne. Ce sont des héros que j'ai vus à l'œuvre, et un film est encore bien trop peu pour leur rendre hommage.
Dans la société d'aujourd'hui, rien ne devrait, aux yeux de chacun, compter plus que la protection de l'enfance et l'éducation - première des protections. Il est de bon ton, dans certains courants politiques, et à tour de rôle, de décrier la justice exercée auprès des mineurs, comme étant trop laxiste. Que les politiques aillent poser le tissu soyeux de leurs vêtements sur une chaise auprès de juges des enfants, et dans les tribunaux pour mineurs, qu'ils retiennent leurs larmes, et je ne doute pas que leurs regards changeront.
"L'éducation est un droit fondamental. Il doit être assuré par la famille et si elle ne parvient pas, il revient à la société de l'assumer."

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