mardi 13 septembre 2016

Première Mondiale



A Toronto, “La Fille de Brest” d’Emmanuelle Bercot déroule le scandale du Mediator



Sidse Babett Knudsen dans La Fille de Brest, d’Emmanuelle Bercot.
Projeté en première mondiale, le film fait du combat complexe et ingrat d’Irène Frachon contre le laboratoire Servier une œuvre de cinéma efficace, et terriblement humaine. 
Elle avait eu l’honneur d’ouvrir le festival de Cannes, l’an dernier, avec La Tête haute, et c’est à Toronto qu’elle dévoile son nouveau film, La Fille de Brest. Loin de ses bases, Emmanuelle Bercot pourrait avoir l’air d’une Française exotique, mais c’est tout le contraire : en racontant le combat de la pneumologue Irène Frachon pour faire interdire le Mediator et condamner le laboratoire Servier, la cinéaste livre un film-dossier efficace, comme ceux que les Américains savent faire. Avec un regard finalement assez personnel pour qu’elle ressorte de cette aventure la tête haute.
Une femme nage seule, au milieu d’un océan qui menace de la submerger... La première image de La Fille de Brest résume ce qui va suivre : une odyssée essentiellement solitaire, contre vents et marées. Etablir un lien entre la prise de Médiator, un coupe-faim, et des pathologies cardiaques parfois mortelles, c’était, pour Irène Frachon, se jeter à l’eau courageusement, dangereusement. Comparée avec mépris, par ses adversaires, à un « petit soldat », la pneumologue de Brest semble bien mal armée pour la guerre qu’elle engage, et qu’elle mènera pourtant jusqu’au bout, notamment en écrivant le livre qu’a adapté Emmanuelle Bercot, Mediator 150 mg : Combien de morts ?, publié en juin 2010 aux éditions Dialogues.

La responsabilité des institutions publiques

En reconstituant les faits, la cinéaste se met au service d’une histoire formidable mais, malgré tout, technique : des chiffres, des études, des statistiques, des écrans d’ordinateur, des réunions, la belle quête de la vérité suit un chemin ingrat. Avec du savoir-faire, il n’est pas difficile de rendre cela prenant. Mais si le film est bien mené, il a surtout l’intérêt de ne pas perdre de vue deux choses essentielles. D’abord, le fait que ce scandale du Mediator est l’histoire de patients qui ont souffert dans leur corps : la deuxième scène du film est une opération à cœur ouvert particulièrement pénible à regarder, comme l’est, plus tard, une autopsie terrible.


Interview d’Emmanuelle Bercot, en 2016, sur La Fille de Brest.
Allociné

Avec ces images fortes, Emmanuelle Bercot redonne tout son sens au combat d’Irène Frachon, tellement compliqué qu’il raconte aussi toutes sortes d’autres choses, notamment sur le pouvoir de l’industrie pharmaceutique. Dans les méandres de cette affaire, la cinéaste choisit une autre perspective importante : au-delà du bras de fer entre les bons qui soutiennent Irène Frachon et les méchants du laboratoire Servier, elle vise la responsabilité des institutions publiques qui n’ont pas fait leur travail de contrôle, de protection des patients.



Comme La Tête haute, qui se terminait par un plan sur le Palais de justice, La Fille de Brest raconte comment des individus mettent leurs qualités personnelles et professionnelles au service de causes qui sont aussi l’affaire de l’Etat, et parfois des affaires d’Etat. C’est un film réfléchi, citoyen, mais sans discours grandiloquent, et qui veut aussi, simplement, illustrer la victoire d’une femme de tempérament devenue lanceuse d’alerte.


Sidse Babett Knudsen interprète une Irène Frachon combative, qui n’aura de cesse que le Mediator, dont elle dénonce inlassablement la dangerosité, soit enfin interdit.
Choisie pour jouer Irène Frachon, la Danoise Sidse Babett Knudsen (César de la meilleure actrice dans un second rôle pour L’Hermine) est, au cœur d’une distribution parfaite, l’interprète idéale : du tempérament, elle en a tout le temps, presque au point de sembler emportée, brouillonne ou maladroite. Mais c’est bien ainsi : elle crée des trous d’air, des surprises, et c’est aussi grâce à elle que l’exercice du film-dossier devient plus habité, plus vif et, heureusement, un peu déstabilisant.

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