L’enfance volée
La cinéaste Emmanuelle Bercot plonge dans l’univers de la délinquance
La tête haute
Réalisation d’Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve, Rod Paradot et Benoît Magimel À l’affiche le 10 juin
À huit ans, Emmanuelle Bercot, enfant très protégée par ses parents, découvre un monde qui la bouleverse alors qu’elle se rend chez un oncle, qui dirige un camp de vacances pour jeunes délinquants en Bretagne. « Je suis très marquée par ce souvenir, affirme-t-elle au téléphone. Évidemment, à l’époque, j’étais loin de me douter que je ferais du cinéma, mais comme j’ai continué à voir mon oncle régulièrement, je pense que le sujet a cheminé en moi. »
Scénariste de Polisse, de Maïwenn, où elle se penchait sur le quotidien des policiers de la Brigade de la protection des mineurs, Emmanuelle Bercot s’est intéressée aux adolescents dès son premier court métrage, Les vacances, qu’elle avait fait avec Marcia Romano. S’étant retrouvées par hasard après s’être perdues de vue pendant plus de 10 ans, les deux diplômées de la Fémis (école nationale supérieure des métiers de l’image et du son) ont eu le désir de tracer le portrait d’un jeune délinquant que l’on suivrait de 6 à 18 ans.
Renvoyé de toutes les écoles à cause de son comportement, Malony (le petit Enzo Trouillet et le jeune Rod Paradot) est abandonné par sa mère (Sara Forestier) dans le bureau d’une juge des enfants (Catherine Deneuve). Avec le soutien d’un éducateur (Benoît Magimel), lui-même ex-délinquant, elle tentera au fil des années de sauver ce jeune garçon de lui-même et de la délinquance.
« Malony représente un cas plutôt banal; il y a des cas encore bien pires que le sien. J’ai fait ce choix parce que je ne voulais pas stigmatiser la figure du délinquant. J’ai cherché à ce qu’il soit le plus neutre possible, c’est-à-dire qu’il ne fasse pas de trafic de drogue, de vols de banque, qu’il ne vive pas en banlieue. J’ai voulu le sortir de tous les clichés au maximum. On voulait en faire un personnage le plus universel possible afin que tout le monde puisse se retrouver et se dire que cela pourrait lui arriver. »
De huis clos en huis clos
Hormis quelques rares scènes dans l’intimité de la famille éclatée de Malony, La tête haute se déroule essentiellement dans les bureaux des magistrats, dans les centres pour délinquants et dans les tribunaux de la jeunesse. Par instants, ce drame de fiction rappelle 10e chambre – Instants d’audience, documentaire de Raymond Depardon.
Afin d’être fidèles à la façon de parler des jeunes, des éducateurs et des juges, Bercot et Romano se sont livrées à un énorme travail d’enquête sur le terrain en amont du scénario. Une fois le tout écrit, elles sont allées faire un stage dans les lieux où allait être tourné le film.
« Raymond Depardon, c’est vraiment une référence pour moi, reconnaît la réalisatrice. Ce qui se passe dans le bureau des juges, c’est le reflet de ce qui se passe vraiment. C’est très, très fidèle à la réalité. Le langage des juges étant très codifié, il ne fallait donc pas être approximatif. J’ai voulu que le scénario colle de très près à la réalité, même si, pour le parcours de Malony, je ne me suis pas du tout inspirée d’une personne réelle. »
Malgré le plaisir de retrouver Bercot, qui l’avait dirigée dans Elle s’en va, Catherine Deneuve avait quelques craintes face au personnage qu’elle devait incarner. « Catherine avait peur qu’on ne voie que la fonction parce que ne voit jamais la juge en dehors de son travail. Il fallait que le personnage existe seulement au bureau ou au tribunal. Elle a donc passé du temps dans le bureau des juges et je pense que cela a été révélateur pour elle parce qu’elle est d’une grande justesse dans le film. »
Tourné dans le nord de la France, notamment à Dunkerque où Bercot a trouvé le tribunal idéal, La tête haute aborde de façon frontale un sujet difficile. Traversé de moments qui semblent sans espoir pour le jeune garçon, ce drame social évoquant l’univers des frères Dardenne évite toutefois de verser dans le pathos. Pour parvenir à rendre le personnage de Malony tour à tour détestable et aimable, le prodigieux Rod Paradot, César du meilleur espoir masculin, a longuement travaillé avec un coach avant d’arriver sur le plateau.
De connivence avec le directeur photo Guillaume Schiffman, Emmanuelle Bercot a aussi fait en sorte que son film ne sombre pas dans une esthétique misérabiliste. « Je ne voulais pas d’un style documentaire, je voulais donc une lumière assez travaillée qui ne soulignait pas la noirceur, qui soit porteuse d’espoir sans être trop stylisée parce que je préfère mettre les choses en contraste plutôt que de les souligner », conclut Emmanuelle Bercot.
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