Ces longues enclaves que je me ménage depuis quelques années et où je m'assois
pour ne me préoccuper de rien - où je lâche leur bride à mes pensées pour les
laisser brouter plus loin - sont désormais le plus grand luxe de ma vie, le
seul. (Car peut-on parler de luxe quand il s'agit d'acquérir des choses qui
s'achètent! Dérision suprême de ce luxe là!) Pourquoi même ne pas oser dire que
je me coule entière dans une matrice - mieux, dans un moule qui tient ensemble
la cire fondante que je suis, lui donne forme. - Oui je prends une posture.
"Attitude particulière du corps (surtout lorsqu'elle est peu naturelle et peu
convenable)", dit le Robert. Je (re)trouve - malgré le Robert - une forme qui
m'est devenue naturelle et me convient, un ordre originel, la colonne vertébrale
droite et fichée dans la coque du bassin comme un mat portant l'ample voilure
des poumons qu'enflent l'inspir et l'expir. Elle court sur les flots, ma superbe
frégate, quand la respiration est devenue le seul horizon que je fixe, la seule
merveille où reposent mes yeux mi-clos.
Alors il m'arrive parfois - une seconde? dix secondes? - d'être en mesure de
contempler le vide. Si vraiment un moment, aucune image ne se faufile par mes
yeux entrouverts, aucune sensation porteuse d'un nom aucun message passé en
fraude - si je suis un moment TOUTE vigilance, tous les sens en alerte comme
chien de garde - alors dans cet espace que j'ai vidé de ma présence, le Réel se
déploie et j'ai le goût de Dieu sur la langue. Un instant j'ai alors reflété ce
qui EST. Ou plutôt ce qui EST à trouvé en mon absence où se refléter. Un instant
il n'y a eu personne pour troubler l'eau. Un instant, je n'ai pas occupé tout
l'espace du miroir. Un instant, j'ai su de quel infini j'étais le frémissement
ténu.
Christiane Singer
Transmis par Martine P.
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