Je suis une peau âgée maintenant. [...]
Je me regarde me craqueler comme une terre aride. [...]
Ma vie sera vive tant que je vivrai.
Je m'incline encore sur la rosée du matin, sur la fraîcheur de sa transparence.
Je me soûle encore de l'effluve des lavandes qui mûrissent dans les champs d'azur et frissonnent sur moi à la tombée du jour.
Je me froisse et me rebelle encore quand on m'accable d'insomnie, quand on me néglige.
Je grelotte de peur quand une fièvre s'attarde, quand la vie s'approche trop près du précipice.
J'aime encore.
Belle alors, oui, je le reste, de ce que je fus, de ce que j'ai vécu, de celui pour qui je l'ai fait.
Regardez, c'est encore là, ce soir, dans mes plis imprécis, mes ombres, au creux de mes rides où les élastines fatiguées s'endorment, où les glandes s'assoiffent, où les gènes crépusculaires s’égarent lentement, c'est encore là, au bord de la vie qui esquive, déjà éloignée, bientôt lointaine, c'est en moi que les arômes de vanille trouvent leur dernier refuge; que les roses s'ensommeillent et expirent dans un soupir heureux leurs dernières notes de poudre fraîche.
C'est en m'enlaçant que les vents de poussières du désert s'adoucissent.
C'est en me baignant que le soleil désarme ses rayons.
C'est à moi que l'ambre doré se frotte pour échauffer ses senteurs animales, pour exhaler ses vapeurs de musc chaud.
Et si l'on veille à ne pas les délaisser, si l'on en préserve et entretient le bel orient, qu'elles soient blanches, grises, noires ou bleutées, c'est encore sur moi qu’épandues, coulées en double rang de nacre, jamais les perles ne mourront.
Isabelle BEAUMONT - extrait du roman " Sur la peau"
[transmis par Catherine Smits : merci]
Photo : Valentine Magendie
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