JE HAIS LES DIMANCHES (89) par H.Bellec
De la vertu des huîtres
Tous les dimanches matin et par tous
temps, il y a un ostréiculteur venu du Golfe du Morbihan qui installe
son petit stand face à la boulangerie de la rue de la Tour d'Auvergne,
non loin d'où je demeure. J'ignore pourquoi il fait tout ce chemin pour
venir vendre ses huîtres jusqu'ici et je ne sais pas si je lui poserai
un jour la question, toujours est-il que depuis je me suis installé en
ménage, j'essaie de lui en acheter assez régulièrement. Outre que c'est
un aliment d'une saveur exquise et un rien sensuelle, avouons-le, chacun
sait que l'huître est une source de bienfaits pour la santé. Riche en
iode, bien sûr, mais aussi en sélénium, fer, cuivre, magnésium, calcium,
etc, c'est une véritable pharmacie dans votre assiette. En outre, ce
coquillage recèle une quantité non négligeable de zinc, zinc qui stimule
chez le sujet masculin la production de testostérones, testostérones
qui servent à vous savez quoi.
C'est une évidence, un postulat
devrais-je dire, les huîtres se dégustent à deux. Je sais de quoi je
parle. J'ai vécu de longues années en loup solitaire, ce qui est plus
sexy que de dire en vieux garçon mais qui revient à peu près au même.
Certes, il y avait d'indéniables avantages, je pouvais à ma guise péter
au lit et regarder le Tour de France à la télé sans avoir à subir des
regards affligés. Je mangeais à peu près tout ce que je désirais mais
par un étrange processus de culpabilisation, je ne m'autorisais jamais
les huîtres. Un sorte de sentiment de honte toute judéo-chrétienne
m'interdisait d'aller chez le poissonnier pour une misérable
demi-douzaine. Les huîtres, ça se partage, voilà tout. Seul, c'est
péché. Quand mon tour venait, je commandais un filet de cabillaud, pas
trop gros, s'il vous plait, et je ravalais ma solitude à travers un
sourire bêtement mélancolique adressé à la poissonnière en même temps
qu'un billet de 10 €. Une amie mienne m'avait un jour confié qu'elle
avait en horreur les hommes qui s'achetaient des demi-baguettes. C'était
rédhibitoire, disait-elle. Comprenne qui pourra mais en ce qui me
concerne, j'avais parfaitement compris. Et la moitié du pain finissait
aux oiseaux.
Chez moi, les choses ont changé depuis
bientôt un an. Il a fallu rajouter des étagères dans la salle de bains
et je ne pète plus au lit, du moins quand elle y est, mais comme elle y
est toutes les nuits, ce n'est pas toujours facile à gérer. À l'heure où
retentissent les cloches appelant à l'office dominical, je suis parti
ce matin acheter une baguette de pain et une bouteille de bourgogne
aligoté. Voyez-vous, en cette période de fêtes, j'aurais pu lui offrir
des fleurs, du parfum, l'intégrale d'Étienne Daho ou même, plein aux as
comme je suis, un torrent de diamants dégoulinant sur son décolleté,
mais je me suis contenté de poser sur ses lèvres un baiser et sur la
table une platée toute fraîche d'huîtres du Golfe du Morbihan ainsi
qu'un verre de vin blanc en lui conseillant de se laisser emporter par
l'océan. Je vous souhaite à toutes et à tous de passer d'heureuses fêtes
de Noël autour de ceux que vous aimez. Pour votre fidélité, dimanche
après dimanche, merci infiniment.
© Hervé Bellec, 20 décembre 2015
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