Dans l'œil d'Emmanuelle Bercot, la femme qui aimait les femmes
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La vie a beaucoup plus d’imagination que nous”, écrivait François Truffaut dans son livre
Les films de ma vie.
Cette remarque, Emmanuelle Bercot l'a vérifiée l’an dernier à Cannes en recevant le prix d’interprétation féminine pour le rôle de Tony, dans Mon Roi, le film de Maïwenn.
“Aujourd’hui la vie dépasse mes rêves. Je n’ai jamais rêvé de tout ça”, confiait-elle juste après son sacre, encore sous l'effet de la surprise.
Quelques mois plus tard, Emmanuelle Bercot est doublement nommée aux César. À la fois dans la catégorie meilleure réalisation pour son film La Tête Haute, mais également en tant que meilleure actrice pour Mon Roi. Et tout ça la travaille. “Pour moi, c’est un calvaire ce genre d’événement. Je suis très émotive, c’est une épreuve terrible de monter sur scène en tant que moi-même, confie-t-elle au HuffPost. Si j’étais sûre de ne pas monter sur scène je serais très détendue."
Lors de la soirée de clôture du festival de Cannes, le grand public l’a découverte chignon tiré à quatre épingle, en robe de soirée. “J’ai pris plaisir à me déguiser”, raconte-elle en riant. Entre Emmanuelle Bercot et les paillettes, la flamme n’a jamais prise. Une singularité rare chez les actrices, qui se remarque au premier coup d’œil lorsqu’elle déboule, la démarche décidée, dans son café de quartier.
La femme
La réalisatrice n’est pas dans la fioriture. À 48 ans, son sourire enfantin est le symbole d’un naturel surprenant. Le cheveu lâché, le visage libéré de tout artifice, ses petits yeux marrons en disent plus long sur elle que tous les discours.
Lorsque son regard est rieur, Emmanuelle Bercot joue, s'amuse, dévore des films et des petits plats. “C’est une maman, mais elle rigole beaucoup. Elle est folle, unique en son genre”, est-elle décrite gentiment par son fils Némo, 15 ans. Un trait de caractère souligné aussi par Julien Leloup son ami et monteur. “Elle a un grain de folie, on rigole bien avec elle, assure-t-il. Elle a un rapport assez sain à la vie".
Sérieuse quand il faut l’être et souvent amusée, c’est indéniable la réalisatrice a la tête sur les épaules et sait ce qu’elle veut, à commencer par ce qu’elle entreprend au cinéma.
“À l’époque, je me souviens avoir été séduit par sa liberté. J’avais une approche beaucoup plus 'cérébrale' du cinéma. Emmanuelle, elle, était libre sur ses sujets, sa façon de filmer”, dévoile celui qui la connaît depuis plus de vingt ans et l'a rencontré lors de leurs études à la Fémis.
En effet, lorsqu'il s'agit de ses sujets la réalisatrice n'hésite pas: la prostitution étudiante dans Mes chères études, les amours entre adultes et adolescents pour Clément, le mal-être d'un jeune révolté dans La tête haute, le scandale du Médiator pour son prochain film La fille de Brest.
Instinctive, la réalisatrice travaille beaucoup sur la femme. Nombreux sont ses films où sont racontées des histoires de femmes. “Elles me touchent beaucoup plus que les hommes. Je les trouve plus belles. Les combats de la femme dans l’histoire des cent dernières années me la rendent plus vulnérable, mais aussi plus combattante. Chez l’homme, je vais chercher la part de féminité, la fragilité, la délicatesse”, énumère-t-elle, perdue dans ses pensées, presque déjà inspirée.
La louve
Dans le vague, son œil rieur se remplit tout à coup de tendresse à l’évocation des acteurs avec qui elle travaille. Emmanuelle Bercot dit d’ailleurs de Catherine Deneuve: “C’est LA femme, ce qui me bouleverse en elle c’est ce mélange de grande joie de vivre et de mélancolie. Tout ça co-habite très fort en elle et quand je regarde ses yeux je suis complètement aspirée par ce qu’elle est.” Avant de souligner plus généralement: “J’ai besoin d’être profondément touchée par quelqu’un pour le filmer”.
Un regard presque maternel, bourré de gentillesse, mais exigeant. “Elle est très proche des acteurs. Elle les regarde vraiment, s’assoit en dessous d’eux parfois pour les scruter. Elle est avec eux à 200%. Je me souviens sur le tournage des Infidèles (Emmanuelle Bercot a réalisé le fragment “la Question” pour ce film) sur un long plan séquence elle s’est collée à deux centimètres d’Alexandra Lamy et de Jean Dujardin. Dujardin m’a dit 'Oh! Mais elle est dingue!'. Les acteurs ne peuvent pas lui échapper et ils le sentent tout de suite”, se rappelle Guillaume Schiffman, le chef opérateur de ses trois derniers films.
Comme une louve, Emmanuelle flaire et guette délicatement avec la même pudeur que lorsqu’elle est mise sur le devant de la scène.”T’as cru en moi comme personne avant”, déclarait-elle très émue à Maïwenn en recevant le prix d’interprétation à Cannes en mai dernier. Cette phrase, les comédiens qu’elle dirige pourraient tout aussi bien la lui adresser. Guidés, “les acteurs ne sont jamais aussi bons que dans les films d’Emmanuelle”, estime même Guillaume, son bras droit lors des tournages.
Le guépard
Naturelle, enjouée et libre, Emmanuelle Bercot n’en oublie pas son sérieux.“Beaucoup de femmes pensent qu’il faut être dure pour être réalisatrice. Emmanuelle, elle, sait complètement diriger, gérer les angoisses et les doutes en gardant la féminité, sa délicatesse”, note Julien Leloup.
Son œil aiguisé, la réalisatrice l’ouvre bien grand lorsqu’il s’agit de faire du cinéma. Longtemps, il lui est arrivé d’observer les inconnus dans les cafés se faisant spectatrice de la comédie humaine. C’est en observant que, celle qui sait aussi bien faire jouer des non-professionnels que des acteurs confirmés, puise ses idées. “J’aime m’inspirer d’une matière réelle. C’est ce que je préfère faire: incarner”, livre-t-elle doucement.
Un travail qu’elle s’est appliquée à faire pour son film La Tête Haute. Le personnage principal, Malony est incarné par Rod Paradot. Nommé cette année dans la catégorie meilleur espoir masculin aux César, l’ancien étudiant en menuiserie n’avais jamais mis un pied sur un plateau de cinéma avant qu’Emmanuelle Bercot ne vienne le chercher. Et pour ce drame social, la réalisatrice est allée chercher sa "matière réelle" dans sa mémoire et dans le concret. Enfant, il lui arrivait d’accompagner son oncle éducateur quand il se rendait dans des foyers de délinquants en Bretagne. Elle a aussi passé de longues heures auprès de juges et d’éducateurs pour enfants sur le terrain. Une véritable enquête qui donne toute leurs crédibilités au scénario et aux dialogues.
Cette matière, elle la modèle tout au long de son processus de création. “Elle arrive avec une armée de notes, de cahiers, de plans” raconte Guillaume Schiffman, amusé. Une rigueur qu’il n’est pas le seul à admirer “Sur le tournage de La fille de Brest (terminé mi-février), j’ai été impressionné par sa maîtrise et la vision globale des choses, savoir exactement où on en est malgré les multiples reprises”, pointe son ami Julien. Il faut dire que quand il s’agit de travail, tous les violons s’accordent. Emmanuelle est “sérieuse”, “travailleuse”, “concentrée”, tout en étant capable d’“une franche relâche” selon le témoignage de ses proches.
Quand son chef opérateur la compare à “un animal sauvage”, on le comprend. Son regard affûté de guépard, sa tendresse de louve et son sourire de gamine font d'Emmanuelle Bercot une femme naturelle et droite, énergique et pudique.
En septembre, à la sortie de son film La fille de Brest, pour la première fois depuis quatre ans, Emmanuelle Bercot n’a aucune idée de ce qu’elle va faire. Se remettre à observer les gens dans les cafés peut-être?
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