Attentats de Paris - Matthieu Ricard : deux enfants
Les jeunes hommes qui ont tué vendredi 13 novembre ont été des enfants. "Qu'avons-nous négligé pour en arriver là ?" s'interroge le moine bouddhiste.
PAR MATTHIEU RICARD
Publié le | Le Point.fr
L' Un de ces enfants est un petit garçon syrien de 4 ans, Aylan Kurdi, échoué mort sur une plage turque. Son image a bouleversé le monde. L'autre est un enfant qui comme tant d'autres qui n'ont pas eu accès à une éducation ouverte fondée sur le respect de l'autre, la tolérance et la bienveillance, est tombé entre les mains de fanatiques qui lui ont inculqué la haine. Mais cet enfant n'est pas né en se disant "je vais tuer tout le monde autour de moi". Qu'avons-nous négligé pour en arriver à ces deux formes d'horreur ?
Face aux actes barbares qui ont ôté la vie à tant d'entre nous à Paris, notre réaction immédiate est d'être profondément choqués, de ressentir une immense peine, parfois de la peur. Mais nous n'avons pas d'autre choix que de faire front en cultivant la résilience, la force d'âme, et de mobiliser toutes nos ressources intérieures pour faire face avec sagesse et compassion. La peur se combat par la coopération et la solidarité. Une société plus altruiste est moins vulnérable : les individus sont plus forts ensemble qu'isolés. Mais cela, bien sûr, est impossible si l'on exclut certains peuples du monde ou certains pans de notre propre société.
Se protéger des douleurs
Sur le moment, on doit faire ce que l'on peut pour se protéger des douleurs et des violences absurdes, mais on ne peut fonctionner uniquement dans l'urgence, une fois l'incendie déclaré. On doit inlassablement rechercher les racines du mal et œuvrer à long terme pour un monde meilleur. En réduisant, par exemple, les inégalités qui ne cessent de croître entre le Nord et le Sud, entre les États et au sein même de nos sociétés. En offrant aux jeunes un idéal autre que celui de la violence, une vision saine du monde qui les incite à se préoccuper du bien des autres. Or, jusque-là, c'est le contraire que nous avons fait. Nous avons, par égoïsme, aveuglement ou indifférence, aliéné une partie de la population du monde en favorisant ainsi son basculement dans l'extrémisme.
Cette situation n'est pas sans espoir. On sait que, globalement, la violence est en constante baisse dans les régions qui connaissent la démocratie, le respect des femmes, la liberté de pensée, de parole et d'action, et l'ouverture aux autres. "C'est à chaque homme de décider, disait Martin Luther King, s'il marchera dans la lumière de l'altruisme créatif ou dans les ténèbres de l'égoïsme destructeur." Cette phrase est particulièrement appropriée en ces moments tragiques. Il est tentant de réagir par la violence, les représailles, mais si l'on applique la loi du talion — œil pour œil, dent pour dent ‒, le monde, disait Gandhi, sera bientôt aveugle et sans dents. Au lieu de frapper dans des pays lointains des êtres qui ont eu le malheur de subir un endoctrinement pervers, mieux vaudrait remédier, par des mesures constructives, aux causes profondes du ressentiment qui a, peu à peu, mené ces êtres à la barbarie.
Que la haine nous quitte
Quand la haine a déjà enflammé l'esprit de quelqu'un, la compassion consiste à adopter face à lui l'attitude du médecin envers un fou furieux. Il faut d'abord l'empêcher de nuire. Mais, comme le médecin qui s'attaque au mal qui ronge l'esprit du fou sans prendre un gourdin et réduire son cerveau en bouillie, il faut aussi envisager tous les moyens possibles pour résoudre le problème sans tomber soi-même dans la violence et la haine. Si la haine répond à la haine, le problème n'aura jamais de fin. En bref, faisons tout pour que la haine, la cruauté, l'intolérance, l'envie de se venger, en gros tout désir de violence, quittent le cœur de ceux, nous-mêmes ou les autres, qui sont sous l'emprise de ces poisons mentaux. Il ne peut y avoir de désarmement extérieur sans désarmement intérieur, de paix dans le monde sans paix dans l'esprit. Tout repose en fait sur chacun de nous.
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