vendredi 2 octobre 2015

Mon Roi soon


Mon roi: Maïwenn a du mal à "Montrer des images d'un bonheur amoureux"

Maïwenn: "On me décrit folle, écorchée... Je ne me reconnais pas dans ces qualificatifs. Mais ça m'est totalement égal."
Maïwenn: "On me décrit folle, écorchée... Je ne me reconnais pas dans ces qualificatifs. Mais ça m'est totalement égal."

EMANUELE FONTANESI POUR L'EXPRESS STYLES

Le public l'adore. Le Festival de Cannes la couvre de prix. Après Polisse, cette figure libre du cinéma réalise Mon roi, chronique d'une passion destructrice. Interview émotion.

La pluie parisienne cingle son visage grave, encadré d'une capuche et cerné de lunettes noires, mais rien n'arrête Maïwenn, ni les orages ni les soleils, et encore moins les traversées du désert. Dans ce restaurant près de la Bastille où elle a ses habitudes, elle commande une tisane et s'assoit, sereine et concentrée. A 39 ans, Maïwenn (Le Besco) s'est fait un sacré nom de réalisatrice, tournant des films de caractère sur sa famille (Pardonnez-moi), ses collègues (Le Bal des actrices) ou la brigade de protection des mineurs: le fameux Polisse, qui lui a valu, en 2011, le prix du jury du festival de Cannes, remis par Robert De Niro.
Grande, fine, habillée de blanc, elle répond par petites gorgées ou de longues tirades, contente de "faire un petit bilan". Depuis ses premiers pas au cinéma, cette actrice née sur un plateau, ou presque - elle a débuté à 5 ans et joué Isabelle Adjani enfant dans L'Eté meurtrier -, a écrit son existence de battante.
A 16 ans, Maïwenn affichait déjà une filmographie avec Daniel Auteuil (Lacenaire) ou Johnny (La Gamine). Epousait Luc Besson, s'installait avec lui à Hollywood, devenait maman et prenait ses distances avec le cinéma. Avant de revenir sur les planches pour un libérateur "one-Maï-show", au Café de la gare, Le Pois chiche, où elle déroulait sa vie comme un éventail.
Dans Mon roi, son quatrième film en tant que réalisatrice, Maïwenn raconte l'amour fou de Georgio (Vincent Cassel) le séducteur, hâbleur, menteur, instable, et de Tony, une avocate tombée sous son charme, incarnée par Emmanuelle Bercot, prix d'interprétation au dernier Festival de Cannes. De nature joyeuse, parfois sauvage ou distante, Maïwenn se découvre de film en film. Elle se raconte, sa parole est vraie, écoutons-la.

Comment est né Mon roi?

J'avais le sujet en tête depuis longtemps, et le repoussais sans arrêt. Je ne me sentais pas prête, il fallait attendre le bon moment. J'avais aussi besoin d'une tension, d'une peur qui me pousserait en avant. La première partie du film, celle de la rencontre entre Tony et Georgio, celle des jours heureux, me faisait reculer. C'était difficile pour moi de montrer des images d'un bonheur amoureux. Je voulais que le spectateur comprenne à la fois ce qui les avait tant liés et pourquoi ils se remettaient sans cesse ensemble.

Qu'est-ce qui vous intéressait dans cette confrontation?

L'incommunicabilité entre les hommes et les femmes. Mes trois précédents films parlaient aussi d'amour incompris, mais différemment. Mon roi se focalise particulièrement sur un couple, c'est plus casse-gueule. Je tenais à des allers-retours dans le passé, car Tony porte un regard introspectif sur cette histoire. Une réplique de Georgio résume bien les choses: "On se quitte pour les mêmes raisons qui nous ont attirés l'un vers l'autre." J'avais aussi très envie de parler des blessures de l'âme et de filmer un corps abîmé. [Tony est en rééducation après une chute de ski.]

Georgio est-il un pervers narcissique?

Le mot est aujourd'hui galvaudé, mais oui. Cela dit Mon roi est envisagé d'un point de vue féminin, et on peut penser que Tony l'est tout autant. La passion physique, l'attirance a été tellement forte, qu'ils tiennent à rester amoureux de leur histoire, malgré leurs névroses respectives. Un coup de foudre, surtout quand il dure, c'est tellement irrationnel, on ne choisit pas, sinon Tony serait partie. Elle est aussi très attachée à l'idée de la cellule familiale.
La maternité peut être aveuglante, freiner l'épanouissement personnel. Un enfant est tout pour une femme, elle en sacrifie son bien-être. Pour un homme, c'est un événement fantastique dans sa vie, mais ce n'est pas "sa vie". Je le dis sans jugement de valeur ni en en faisant une règle générale. Il existe bien entendu des pères très dévoués.

Avez-vous visionné des films d'amour, des comédies romantiques, avant Mon roi?

Oui, beaucoup. Avant Polisse, j'avais fait pareil avec des polars. J'adore découvrir des films au moment de l'écriture. Mais aucun ne m'influence. César et Rosalie reste un de mes films d'amour préférés, mais j'aime aussi beaucoup Falling in Love, Camille Claudel, Kramer contre Kramer, 37,2 le matin...

Que vous apporte la mise en scène?

J'adore réaliser des films, même si passer derrière la caméra ne comble pas tout. Quand j'ai tourné mon court-métrage, I'm an actrice, mon premier assistant m'a montré un découpage très détaillé d'un long-métrage de Jean-Paul Rappeneau, et il m'a poussé à faire pareil. Luc [Besson] avait le même genre de découpage. J'avais l'impression de ne rien comprendre, je me sentais à la traîne, renvoyée à mes échecs scolaires. Puis j'ai joué dans Les Parisiens, de Claude Lelouch, et sa façon de travailler, si libre, a tout changé pour moi. C'est un réalisateur amoureux de la vie.
J'ai souvent l'occasion de rencontrer des metteurs en scène, et je suis surprise de découvrir qu'ils ne sont pas toujours "dans la vie", ils ne vivent que pour et à travers le cinéma. Je trouve qu'il faut tout de même aimer la vie pour réaliser des films, sinon ça les enferme. Par exemple, Renoir était un vrai amoureux de la vie et de l'être humain. On devrait montrer son oeuvre dans les écoles tellement elle est positive et philosophique.

Maïwenn, ici sur le tournage de Mon Roi, avec Emmanuelle Bercot, et Vincent Cassel.

Maïwenn, ici sur le tournage de Mon Roi, avec Emmanuelle Bercot, et Vincent Cassel.
Studio Canal
Comment vous comportez-vous sur un tournage?

Je me comporte bien!... Je me comporte comme toutes les femmes qui ont des responsabilités et qui sont exigeantes. C'est difficile de ne pas se faire traiter de castratrice, mais j'ai compris que toutes les femmes qui exerçaient un travail avec beaucoup d'employés et de responsabilités - qu'elles soient artistiques et/ou financières - étaient dans le même cas que moi. Diriger une équipe fait appel à des hormones masculines. L'ego féminin est mis de côté pour un temps. On grandit avec l'idée que ce sont les hommes qui dirigent et commandent, pas les femmes. Quoi qu'on dise sur l'évolution de la femme aujourd'hui, je peux vous assurer que ce n'est pas évident. En gros, un réalisateur est exigeant, une réalisatrice est chiante.

Emmanuelle Bercot souligne votre force de conviction. Vous avez toujours été ainsi ?

Je pense, oui. Ma mère m'a transmis ce trait de caractère. Quand j'ai été déscolarisée, je suivais donc des cours par correspondance et restais seule avec elle à la maison. Je l'entendais parler des heures au téléphone. Elle était prête à tout pour arriver à ses fins, elle ne rentrait pas dans le rang, comme les autres mamans. Petite, je voulais être comme tout le monde, et cela me gênait. Mais, aujourd'hui, je dois reconnaître qu'elle m'a probablement transmis cette force de conviction.

Le Pois chiche, un spectacle présenté en 2001 au Café de la gare, où vous régliez des comptes avec votre famille, a-t-il été un faire-part de renaissance?

Plutôt de naissance. Ma vie professionnelle a démarré là. Les années de galère ont été longues. Sur les castings, on me trouvait trop typée, trop grande, trop ceci, trop cela. Ça n'allait jamais.

Existe-t-il un malentendu sur vous?

Lorsque l'on décrète que mes films étaient ou sont autobiographiques... C'est réducteur, cela m'énerve profondément. Chaque création parle du créateur, de l'artiste: il parle de lui à travers son oeuvre, bien sûr, ou bien s'imprègne de choses vues ou entendues. La création, ce n'est pas une science exacte. Certains se cachent ou se déguisent plus que d'autres pour être tranquilles. Par exemple, Luc a réalisé Léon, l'histoire d'une fille de 13 ans et d'un monsieur de 35 ans; à l'époque, j'en avais 16 et lui, 32. Personne n'a relevé le côté autobiographique.

Que dit-on d'autres de vous qui ne vous correspond pas?

On me décrit folle, écorchée... Bien sûr que je ne me reconnais pas dans ces qualificatifs. Mais ça m'est totalement égal. Ce qui compte pour moi, c'est de pouvoir faire les films que j'ai envie de faire. La réputation des gens, je m'en fiche totalement, et je dirais même que les mauvaises réputations m'attirent.

Après Le Bal des actrices, vous lancerez-vous un jour dans Le Bal des réalisatrices?

Non.

Une image d'enfance vous rend-elle nostalgique?

Celle passée avec mes quatre frères et soeurs, intense, joyeuse. Et puis, je me souviens que, à 12 ans, j'allais souvent seule au cinéma UGC Orient Express, dans le quartier des Halles, à Paris. Je payais mon ticket avec plein de pièces. Le directeur de la salle, sans doute touché par ma passion, m'a dit un jour: "Tu viens quand tu veux, pour toi, ce sera toujours gratuit."

Si on tirait un fil rouge entre vos quatre films, ce serait...
... La quête d'amour.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Emmanuelle, si belle, et femme épanouie... Une maturité dont on ne peut que s'émouvoir à chaque étincelle, elle occupe mes pensées depuis 18 ans. Votre fille est un ange, chère Madame...