vendredi 18 décembre 2015

Mediter pour la planète

« Mais il me vint quelque chose de plus doux encore que le rire et de plus grand que le désir. Ce fut l’illimité en vous.
L’homme vaste dans lequel vous n’êtes tous que des cellules et des tendons ;
Celui dans le chant duquel tous vos chants ne sont qu’une muette palpitation.
C’est dans l’homme vaste que vous êtes vastes »

Khalil Gibran

[COP 21] Méditer, un remède à la folie ?

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« Méditer pour la Terre », est ce bien sérieux ? C’est en tout cas ce qu’on décidé de faire plusieurs milliers de personnes dans le monde, de toute confessions, pendant 24h.
Leur objectif : sauver la Planète et l’humanité.
Alors que les catastrophes climatiques se multiplient, que la chaleur augmente et que les mesures prises ne semblent pas être à la hauteur de la situation critique, ça vaut peut être le coup d’essayer…
Vous êtes là, assis, concentré sur l’air qui rentre en vous, et ressort. Plus rien n’existe autour de vous, ou plutôt, si, l’existence du monde entier est dans cet air qui passe par votre narine. Un concentré d’existence, là, maintenant, dans cet acte banal de la respiration.
C’est alors que votre propre existence, celle de votre corps, de vos émotions, de vos pensées, se mêle au mouvement du monde, concentré dans cet air qui rentre et sort de vous. Vous n’êtes plus simplement vous-même, vous êtes plus vaste que cela. Vous êtes l’Autre. Votre voisin, votre ami lointain, Bachar-Al-Assad, l’air et l’eau.

Vous êtes en train de méditer. D’utiliser ces parties de votre cerveau que vous n’utilisez pas d’habitude, ou passivement. Vous mobilisez les capacité de votre mental qui ne sont pas celles de la réflexion et de l’action mais celles de la réception et de l’imprégnation. Vous êtes en train de vous « relier » à ce que vous êtes essentiellement, au delà tout changement d’humeur, de tout événement heureux ou tragique de votre vie, de toute conjoncture.

Méditer pour lutter contre le stress, la fatigue, la dépression


Là, vous êtes bien. Plus d’angoisse. Les émotions qui vous brouillaient la vue ne vous assaillent plus, vous respirez calmement. Vous êtes alors en train de lutter, sans nécessairement le savoir, contre le stress, la fatigue et les maladies inflammatoires… Ce n’est pas une vue de l’esprit non, car depuis peu, on le prouve. Près de 500 publications scientifiques paraissent en 2012 et montrent toutes que la méditation, appelée aussi la « pleine conscience », a des effets cliniques de réduction du stress. Il a été aussi montré que les thérapies cognitives fondées sur la pleine conscience réduisent de près de 30 % à 40 % les risques de rechute à la suite de deux ou trois dépressions graves. Pour le moine bouddhiste français Matthieu Ricard, « chaque type de méditation entraîne [sur le cerveau] des changements tant fonctionnels que structurels ».

La méditation fait donc du bien et augmente les potentialités de notre cerveau, on le prouve aujourd’hui. Mais en quoi la méditation peut pour autant être utile à la Terre comme l’espèrent les participants des « 24 heures de méditation pour la Terre » organisées au Grand Rex à Paris ?

Méditer pour transformer le monde ?


« Nous tentons ici de créer une nouvelle relation avec la planète, un lien non pas d’exploitation mais de gratitude, engagés pour respecter la sacralité de la Terre », explique Alain Michel, à l’initiative de l’événement. « La méditation peut transformer l’humanité, car elle transforme les gens », finit-il par dire.

Pour le Rabin Marc Raphael Guedj « une action sans méditation est une action sans ferveur, et une action sans ferveur n’est pas transformatrice ». Se changer soi même pour changer le monde est donc certes un début « mais il ne faut pas s’arrêter là », continue-t-il. Car, après la méditation, place à l’action.

Pour d’autres, comme pour le philosophe Frédéric Lenoir, c’est dans le méditation même que réside l’action principale : « si on veut éradiquer le mal dans le monde, le vrai travail n’est pas seulement politique mais éthique, c’est à dire un travail sur soi ». Selon lui, si la méditation était pratiquée tous les jours à l’école , « en une génération, le monde serait transformé ».

Spinoza au XVIIe siècle disait déjà que l’amélioration du système politique ou même l’obtention de libertés et de droits, « ne sert à rien si les individus ne se transforment pas eux-mêmes ». Il ajoute que nous pouvons avoir toutes les libertés que nous voulons, elles ne servent à rien si les individus ne se sont pas libérés d’eux mêmes. « Quelque soit la qualité démocratique d’un état, tant qu’il y a aura dans le cœur des hommes un désir de dominer, de posséder l’autre ou de la jalousie, il y aura des guerre et de la violence ». Et il nous reste aujourd’hui l’écho de sa formule qui dit notre pouvoir en tant qu’individu, reprise par Gandhi : « soyez le changement que vous voulez dans le monde ».

Méditer pour élargir son cadre de référence


Le moine Matthieu Ricard l’explique : « le défi principal du monde moderne est de réconcilier trois échelles de temps : le court terme de l’économie, le moyen terme de la qualité de vie et le long terme de l’environnement ». Et selon lui, un seul concept pour relier de façon cohérente ces trois échelles de temps : « la considération d’autrui ». Il ajoute : « le problème de l’environnement en particulier est typiquement une question d’altruisme et d’égoïsme ».

Pour cela, notre faculté de raisonnement acquise pendant notre éducation ne suffit pas. Grâce à elle, on parvient (souvent) à contenir notre désir de voler le si beau vélo du voisin ou jeter nos déchets dans la décharge sauvage à deux pas. Mais pour sauver véritablement la Terre et les humains qui la peuplent, développer notre capacité d’empathie, qui ne s’acquiert ni par la dissertation ni par les calculs de maths, est une piste.

« Je est un autre », disais Rimbaud. Le jeune poète avait touché du doigt cet état méditatif qui nous fait nous émanciper de notre cadre de référence et fait grandir ce à quoi on s’identifie. L’enfant qui s’assimilait à sa mère élargit son cadre au fil des années : rapidement, il n’est plus seulement sa mère, il est sa famille. Puis il élargit petit à petit son cercle. C’est ce qu’on appelle « grandir », « s’émanciper », ou « s ‘épanouir ». Jusqu’à devenir humain. Erasme en parlait déjà : « on ne nait pas Homme, on le devient » disait-il. Essentiel pour vivre en société, avec les autres, et arrêter de vouloir avoir le jouet que l’autre possède ou de penser que la Terre entière tourne autour de soi, de manière enfantine. Arrêter de vouloir préserver ses intérêts nationaux en dépit du climat ou de vouloir prouver son existence en développant la bombe nucléaire. Oups… Nous serions-nous donc arrêtés de grandir en cours de route… ?

Plonger en soi


« La reliance », nous dit Alain Michel, est « nécessaire ». La « reliance » à dieu, à la nature, au tout, à l’au delà, ou à l’autre, quelque soit le nom qu’on lui donne. Car selon le fondateur de l’événement des « 24h de méditation pour la Terre », c’est l’absence de reliance, de lien avec le sacré, qui est la cause du mal de notre modernité. Englué en chacun de nous, nous ne prenons jamais le risque, pourtant nécessaire, de la plongée en soi…

… pour retrouver l’Autre. Car méditer, c’est se connecter avec la partie illimité qui est en chacun, c’est toucher le point de convergence entre tous les êtres vivants, du monde minéral, végétal et animal. Cette fois c’est Khalil Gibran qui l’exprime à travers les mots du « Prophète » :

« Mais il me vint quelque chose de plus doux encore que le rire et de plus grand que le désir. Ce fut l’illimité en vous.
L’homme vaste dans lequel vous n’êtes tous que des cellules et des tendons ;
Celui dans le chant duquel tous vos chants ne sont qu’une muette palpitation.
C’est dans l’homme vaste que vous êtes vastes »

Assis, vous êtes toujours concentré sur l’air qui entre et sort de vous. Là, dans un silence intérieur, vous ne vous identifiez plus aux émotions qui vous traversent, ni à votre mental. Et là, vous voyez qu’il existe quelque chose en vous de beaucoup plus radical que ce que vous croyiez être. Vous, et l’Autre. Confondus.

Se changer soi même pour changer le monde, se dépasser et aller au delà de son ego et de son mental, pour s’identifier enfin à plus large que soi : à l’étranger, à cet « Autre ». « C’est la croissance de l’esprit », explique Frédéric Lenoir, le seul combat « nécessaire à la survie de l’humanité ».

Journaliste : John Paul Lepers
Images et texte : Flore Viénot
Montage : Alexandre Funel, Mars Lefebure.

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