Les cheveux en broussailles, l'œil malicieux et le verbe chatoyant, l'ami Pierrot n'a guère changé : courant la rime comme d'autres la gloire, toujours en marge d'un show-biz auquel il n'a jamais appartenu et modeste comme un artisan qui aime le travail bien fait. Son dernier album
Humour liberté (éditions Adèle) fait la part belle au vocabulaire imagé et souvent égrillard, sa marque de fabrique. Mais reflète aussi les colères et les angoisses de l'époque, le drame des migrants, l'hommage aux copains de
Charlie Hebdo, le scandale de la pédophilie qui éclabousse l'Église…
Pierre Perret se montre incisif et drôle, nostalgique et cabotin. Les années passent, mais ses textes ne prennent guère de rides.
Le Point : Votre dernier album dénonce en vrac les prêtres pédophiles, les tueurs islamistes… À plus de 80 ans, toujours aussi révolté ?
Pierre Perret : Toujours ! Et ça ne date pas d'aujourd'hui. La première plume que j'ai posée sur ma partition, c'était déjà un cri. Sur mon premier disque, où je chantais « Moi j'attends Adèle », il y avait une autre chanson, « Le Prince qui passe », assez prémonitoire… Rien à se mettre sous la dent/Depuis fort longtemps/ Le père, la mère et le fils/Fumaient du maïs (…) Le prince passe/ Il va nous donner du pain/Le Prince passe/Et leur donne du gourdin… Ça ne vous rappelle rien ?
Les fameux Gilets jaunes… Vous avez d'ailleurs posé avec eux.
Je n'ai rien cherché, ils m'ont reconnu, ils m'ont demandé de poser sur une photo qu'ils ont ensuite postée sur les réseaux. Je suis solidaire du mouvement, bien sûr, j'ai toujours eu le cœur qui battait pour ceux qui souffrent. La fronde des Gilets jaunes était prévisible, ça vient de très loin… C'est la résultante de tout ce que n'ont pas fait les syndicats. Et cela ne va pas disparaître du jour au lendemain.
Le président Macron a pourtant répondu à certaines demandes…
Si vous croyez qu'il a droit à la parole… C'est l'
Europe qui décide pour beaucoup, désormais. Sans compter qu'il s'est montré désinvolte et méprisant, avec ses phrases sur « les gens de rien », ou « les premiers de cordée », ce qui sous-entend que si vous n'en faites pas partie vous êtes le dernier des cons… Sans parler de la vaisselle de Sèvres, de la moquette de la salle des fêtes de l'Élysée… Les gens ne supportent plus qu'on se moque d'eux à ce point-là !
Vous avez l'image de l'éternel gai luron, alors qu'on oublie votre côté très engagé, politique, qui transparaît dans nombre de vos textes, comme ceux contre le racisme. Cela vous agace ?
Je m'en fous complètement ! Mais c'est vrai que peu de personnes s'attaquent à ce genre de thèmes, à part le rap peut-être… J'ai toujours eu finalement ces deux approches : sur la banlieue, j'ai écrit à la fois « Y'a cinquante gosses dans l'escalier » et « Cuisse de mouche »… J'ai essayé de refléter le quotidien, on peut très bien éclater de rire ou bien s'effondrer en sanglots.
L'intelligentsia vous a toujours catalogué comme chanteur populaire…
Un vieux malentendu. Pour eux, le mot populaire est toujours nauséabond. Moi, je le revendique. Il y a plein d'émissions cultes que je n'ai pas faites, comme Le Grand Échiquierpar exemple. Même Maritie et Gilbert Carpentier m'ont écarté, c'est dire ! À la fin de leur carrière, Gilbert a quand même reconnu qu'il m'avait loupé : « Avec Pierre Perret, on n'a rien compris, ni ma femme ni moi. » Ils ont fait sans moi, et moi sans eux.
Vous avez toujours été à part dans le show-biz.
Complètement hors sol, vous voulez dire… Je n'ai jamais été dans le système, parce que je n'ai jamais voulu y entrer. Quand j'ai signé mon premier contrat avec Barclay, je me suis fait arnaquer comme un bleu ! Il m'accordait 3 % quand les autres tournaient à 15 ou 20 ! Je passe ensuite chez
Vogue, où je touche des clopinettes alors que je vends des millions de disques. Pour
Les Colonies de vacances, je n'ai jamais pu avoir les vrais chiffres… Alors je claque la porte, et je me mets à mon compte.
Vous créez votre propre maison de disques…
Je voulais être libre, sans patron, et j'en avais assez de me faire avoir. Résultat : tout le monde me ferme les portes ! Les radios ne me passaient plus, j'étais sorti du métier quelque part... Mais je n'ai pas moins vendu au final. Et les radios ont bien été obligées de passer mes tubes : « La Cage aux oiseaux », « Le Plombier »… Un million de ventes sur chaque album en moyenne ! Et 250 dates de tournée par an. Cela m'a permis d'acheter et de retaper une vieille ferme en Seine-et-Marne, où je vis toujours…
Il y a aussi le succès impressionnant du zizi, si l'on peut dire…
Phénoménal ! 25 000 albums vendus par jour… Je ne m'y attendais pas du tout, la chanson n'était même pas citée sur la pochette, je l'avais ajoutée pour m'amuser, j'étais sûre qu'elle passerait nulle part. Même
Mireille Mathieu l'a reprise, vous vous rendez compte ! On a essayé d'en faire des versions dans toutes les langues, ça n'a jamais marché. Inadaptable en écriture.
Elle est venue facilement cette chanson ?
Vous rigolez ? Trois ans et demi, comme la plupart de mes chansons. Je reviens toujours dessus, je serre les boulons. Il me faut en moyenne quatre ans pour faire un album. On m'a parfois demandé d'écrire pour les autres, mais j'ai toujours refusé, faute de temps.
Comment écrivez-vous ?
Dans ma ferme que j'ai achetée en Normandie, au milieu des pommiers. J'y vais régulièrement entre 8 et 10 jours. Je ne parle à personne, je ne vois personne, seule ma femme a mon numéro de téléphone et c'est moi qui appelle… Là, j'écris du matin au soir, et quand j'en ai assez, je mets mes bottes et je pars faire le tour du clos. Après 10 jours, je suis obligé de rentrer car je n'arrive plus à dormir, la musique et les rimes m'obsèdent, tout ce que j'ai écrit la journée vient me hanter la nuit, une vraie maladie.
On peut dire que les muses ne vous lâchent pas…
Exactement. Et quasiment malgré moi. Tout m'inspire, une conversation, des lectures, un article, les souvenirs, même des chants d'oiseaux. Quand j'ai un texte, la musique me vient aussitôt. Un jour, j'ai commencé une chanson en plein milieu d'une rivière : je me trouvais en
Irlande, je venais de piquer un saumon quand une ballade irlandaise me vient soudain à l'esprit, sol-sol-la-sol-fa-mi-do-ré… J'avais tout dans la tête et ce satané saumon au bout des pognes ! Comme j'ai toujours des stylos et des blocs dans mes poches, je me suis mis à écrire ma portée musicale, tandis que le bestiau se débattait au bout de ma canne. J'ai réussi à sauver ma mélodie et à récupérer mon saumon. Je vous jure que c'est vrai !
C'est votre père qui vous a appris à pêcher. Vos parents tenaient un bistrot à Castelsarrasin, près d'une usine d'aluminium, le Café du Pont. Quel souvenir en gardez-vous ?
Tout est parti de là en réalité. Les ouvriers y racontaient leur histoire, leur vie, leurs souvenirs, leurs menteries… Il y avait là une imagerie, un lyrisme très pluriel. Et moi j'étais là tout le temps, les esgourdes grandes ouvertes, surtout quand on ne me voyait pas. Je découvrais le grand livre de la vie… Quand ça devenait scabreux, maman me disait d'aller voir ailleurs. Je partais par la porte et je revenais par la fenêtre. C'était la meilleure école !
Dans votre album, vous évoquez mémé Anna, un sacré numéro qui enflammait le cœur des hommes. Il s'agit de votre grand-mère ?
J'avais en effet une mémé qui s'appelait Anna. On allait ensemble aux champignons ou ramasser des pissenlits. C'était un amour. Pour le reste, la chanson est un peu leste, j'ai laissé vagabonder mon imagination… Une chose est vraie : elle pissait vraiment debout, par la fente de sa culotte, comme dans mon texte. Je la revois encore écarter les jambes au milieu du champ et se mettre à pisser avec une volupté terrible. À la fin, elle me disait : « Aro ba pla », ce qui veut dire « Maintenant ça va », en occitan.
Quel genre d'élève étiez-vous ?
J'avais une grosse mémoire, je lisais en apprenant. J'étais plutôt doué en récitation, en dictée... En revanche, les histoires de robinets qui fuyaient pendant que la locomotive filait à 80 km/h me terrifiaient vraiment.
Vous aviez une idée de ce que vous vouliez faire plus tard ?
Quand j'ai eu mon certificat d'études, je suis allé l'annoncer à mon père. Très bien, me dit-il, formidable, et qu'est-ce que tu veux faire maintenant ? Et je réponds, tout sourire : Moi, papa ? Rien… J'ai pris un de ces aller-retour ! La vie, tu peux pas la passer à te tourner les pouces, me dit-il, il faut que tu choisisses, sinon je choisirai pour toi. Et c'est ce qui s'est passé : il m'a envoyé au conservatoire… Il m'avait fait apprendre le solfège et le saxophone. Le solfège m'a bien emmerdé, mais il m'a bien servi par la suite !
Votre carrière est impressionnante : 500 chansons, et toujours sur scène à plus de 80 ans. Vous songez parfois à la retraite ?
Voilà le seul mot que je n'ai jamais trouvé dans le dictionnaire. Vous plaisantez j'espère ? Je compte bien continuer à écrire…
Vous êtes l'un des rares artistes à inaugurer de son vivant des établissements scolaires ou culturels.
C'est ma Légion d'honneur ! Voir son nom sur des écoles, des bibliothèques, cela me bouleverse toujours. À chaque inauguration, les gamins viennent par grappes me sauter au cou. Sur la première rue qui a porté mon nom, il est écrit : « Pierre Perret, auteur, compositeur, poète ».
De quoi flatter l'ego !
Je ne fonctionne pas du tout comme cela. Je ne suis fier de rien, mais content, oui, bien sûr. Une chose qui réchauffe mes vieux jours, c'est de voir les enfants apprendre à réfléchir sur le racisme à travers Lily, qu'ils étudient parfois à l'école. Je préfère ça à l'estime de l'intelligentsia dont je me tamponne la coquille ! Que restera-t-il de tout cela ? Peut-être quelques chansons intemporelles, comme des refrains que l'on entonne toujours, comme « Auprès de ma blonde », ou « J'ai du bon tabac »… Je ne suis au fond qu'un simple baladin de la rime.
À écouter : Pierre Perret, « Humour liberté », éditions Adèle.