13.I.2015 - Boulevard Voltaire
Cher Jean, cher Georges, cher Stéphane, cher Bernard,
Bien
que je sois prêtre et que cet état par le passé vous débectait,
permettez-moi de vous appeler par vos prénoms et non par vos noms de
guerre. Une façon comme une autre de me sentir votre frère. Certes, vous
demeurez Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, dessinateurs de
profession,
crayonneurs d’idées, trublions de vie politique, insulteurs de justes
et de coupables, souvent drôles et méchants sous le crayon vulgaire et
obsessionnellement
blasphémateur
du sacré, mais à mon esprit éduqué par le Christ à dépasser les
apparences, vous apparaissez plus grands que votre oeuvre, plus grands
que vos dessins offerts aux combats rétrécis de la terre. Seule la bonté
personnelle qualifie un être et l’ennoblit jusqu’à la moelle, je le
crois, et pour cela, je mourrais. Tout le reste n’appartient qu’à la
petite histoire qui finit sous le dégueuloir conventionnel des hommages
et des récompenses accordés entre hommes, au gré des intérêts
particuliers et des partis. Bah ! que tout cela est bas !
Aujourd’hui,
préoccupé par plus haut, maintenant que la vie n’est plus un mystère
pour vous puisque vous connaissez la vérité tout entière (et Dieu sait
si cette connaissance doit désormais susciter en vous non plus votre
humour mais votre joie), je viens vous demander un
petit coup de main pour la France. Ne me le refusez pas.
Amis,
auriez-vous la gentillesse de dire un mot au créateur du monde afin
qu’il continue de juger avec indulgence ses enfants d’en bas qui le
rejettent ou qui prétendent le défendre en tuant leurs semblables ?
Faites cela pour nous, je vous en supplie ! Que le Ciel n’abandonne pas
la terre, et que les hommes comprennent enfin que travailler à la mort
de Dieu dans les consciences ou tuer au nom de Dieu revient à massacrer
l’homme lui-même ! Pourriez-vous
aussi
de vos lumières actuelles éclairer nos intelligences de manière à ce
que nous empruntions les chemins par lesquels on peut enrayer les fusils
les plus huilés ?
Je
vous avoue qu’une chose me surprend depuis votre entrée dans la vie
éternelle : c’est la glorification unanime de la liberté d’expression
que vous auriez honorée magnifiquement jusqu’à mourir pour elle ! Je
dirais plus sobrement que vous avez exprimé librement ce que
vous
pensiez sans jamais vous préoccuper des effets collatéraux que
l’expression de VOTRE vérité pouvait créer dans les esprits. C’est
ainsi. Pourtant, dans les relations humaines, et en particulier dans la
vie conjugale, familiale, et même amicale, nous ne lâchons pas ce que
nous pensons sans exercer un certain discernement à la seule fin de ne
pas blesser inutilement nos proches. Et cela devrait valoir aussi pour
les lointains.
La
raison de cette retenue n’est pas à chercher bien loin, elle appartient
à l’univers de l’amour qui tout simplement ne désire pas blesser. Cette
retenue dans le langage, cette réserve bienveillante n’est pas une
faiblesse, elle est une intelligence qui protège les liens et qui, en
évitant de faire monter le sang à la tête de l’adversaire potentiel,
empêche par rebond de le faire jaillir de la tête d’un autre. Cette
réserve, tout homme peut la vivre, elle est vraiment à la
portée de tous, sauf de l’extrémiste qui donne aux idées plein pouvoir y compris à l’irrespect qui, paraît-il, gagne la partie.
CHERS JEAN, GEORGES, STÉPHANE ET BERNARD…
Le
président de la République n’a pas cessé ces derniers jours d’appeler
le peuple français à la vigilance. Encore une idée bien abstraite !
Que
faut-il donc faire ? Rester chez soi ? Faire des provisions ? Lire le
Coran ? Souscrire à un abonnement à Charlie Hebdo ? J’aurais préféré
qu’il demandât humblement à tous les Français de calmer le jeu de la
haine en les suppliant de ne plus blesser la conscience
d’autrui
au nom d’une liberté d’expression pas assez réfléchie, autrement dit,
en nous invitant tous à prendre la résolution de respecter profondément
les croyances qui sont chères à des millions de personnes. C’est à ce
prix que la paix fera son lit.
Chers Jean, Georges, Stéphane et Bernard, votre mort ignominieuse me fait une peine
immense
et je voudrais qu’elle ne soit pas inutile. Vos caricatures ne
méritaient pas de vous tuer, mais elles l’ont fait. D’une certaine
façon, vous avez touché de votre humour grinçant les régions les plus
viscéralement haineuses de la nature humaine assoiffée de justice et de
vengeance,
et par là, vous avez provoqué l’avènement de la barbarie. Parce que
votre nature était saine, je veux le croire, parce que vous cherchiez
sans doute à votre manière le bien commun, parce que vous considériez la
liberté d’expression comme un droit devant s’exprimer sans état d’âme,
parce que vous étiez au fond restés des enfants qui dessinaient comme
tous les enfants tout en jouant à mettre le feu, vous avez oublié la
permanence de la cruauté humaine quand elle se met au service d’une
cause jugée absolue. Vous avez touché à de l’intouchable, et en réponse,
vous qui étiez intouchables de par votre dignité d’homme, vous avez été
plus que touchés, abattus en plein coeur.
Au-delà
de toutes les décisions politiques qui seront prises, je l’espère, pour
contrecarrer les actes terroristes, intercédez pour nous, chers Cabu,
Wolinski, Charb et Tignous, rendez-nous intelligents et respectueux des
croyances d’autrui pour que la France se distingue encore par sa hauteur
civilisatrice.
Un
dernier point qui me tient à coeur : si vous croisiez au Ciel les trois
petits enfants qui, lors de l’affaire Merah, ont été assassinés
sauvagement, embrassez-les pour moi, et partagez avec eux la gloire qui
est la vôtre aujourd’hui. Eux n’ont pas eu droit à une journée de deuil
national ni à une manifestation d’envergure. Mais que pouvons-nous y
faire ? Ces enfants ne disposaient que de leurs prénoms, ils n’avaient
pas de noms de guerre, et ils ne défendaient pas la liberté d’expression ni la cause de certains politiques ! Qu’importe ! Seule la bonté personnelle qualifie un être et l’ennoblit jusqu’à la moelle, je le crois. Pour cela, je mourrais.
Allez,
chers Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, soyez dans la joie de Dieu,
continuez votre vie, et éclairez-nous maintenant de vos clartés
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