Catherine Deneuve inspire. C'est un fait. Les vieux routiers, les grands anciens, comme les jeunes pousses et les outsiders du cinéma. C'est plutôt à cette dernière catégorie qu'appartient Emmanuelle Bercot, l'auteur de La Puce, Clément,Backstage, autant d'explorations délicates du versant transgressif de l'adolescence. Ecrit pour Deneuve, de tous les plans, Elle s'en va n'est pas si loin de ses précédents opus : la fugue joyeuse d'une septuagénaire sur les routes de l'ouest offre à la cinéaste l'occasion d'exalter la fougue juvénile (et la veine comique) de l'actrice. A l'épreuve de la France des « vrais gens », le mythe Deneuve se fait gentiment secoué, avec humour et tendresse. Emmanuelle Bercot commente pour nous trois extraits de son road-movie.
« Au fil des avant-premières, je me suis aperçue que cette scène marquait profondément les gens. Elle a le pouvoir de faire rire. Parfois aux larmes. Je ne m'y attendais pas du tout.
Tout l'enjeu du film est de mettre Catherine Deneuve, la grande actrice, le mythe, mais aussi l'un des visages de la Marianne républicaine, bref la France dans toute sa splendeur, face à une France qu'on voit peu au cinéma, et que je voulais incarner par des « vrais gens », pas par des comédiens qui jouent aux paysans.
J'ai prêté une grande attention au choix des décors. Dans un road movie, les extérieurs sont essentiels. Dès le début, la France photographiée par Raymond Depardon a été l'une de mes sources d'inspiration. Son regard est juste, authentique et respectueux, il se défie de tout pittoresque. C'est la France qui me touche et m'intrigue. Bizarrement, je me sens beaucoup plus à l'aise quand je filme ces gens-là que mon univers parisien avec ses bobos et ses cafés d'en bas...
Le village que Betty traverse dans cette scène devait être typique de cette France profonde, un peu rétro, sans toutefois ressembler à ces bourgs de Bretagne aux airs de Disneyland. Quistinic, dans le Morbihan, correspondait parfaitement aux endroits que j'avais en tête : morts et déserts le dimanche. La scène s'ouvre sur l'un des rares plans séquences du film, quand Betty monte la côte en voiture. Elle cherche une cigarette désespérément et finit par tomber sur ce monsieur incroyable qui restera pour moi le petit miracle de ce tournage. Du genre de ceux que tous les cinéastes espèrent en secret. Dans le scénario, la rencontre entre lui et Betty tenait en deux lignes. Ça devait se passer sur le pas d'une porte, vite fait.
Le papy qui devait donner la réplique à Catherine nous a lâché juste avant le tournage. Il a fallu lui trouver un remplaçant en catastrophe. On cherchait quelqu'un qui roule ses cigarettes. La directrice de casting s'est renseignée auprès du tabac du coin, on a fini par lui indiquer ce monsieur, qui vit dans sa ferme comme il y a un siècle. Le lendemain, elle l'amenait sur le tournage. Il ne savait pas trop ce qu'il faisait là, encore moins qui était cette femme blonde assise en face de lui. Cette ignorance a contribué à créer une atmosphère singulière.
Nous connaissions un peu son histoire – sa fiancée morte à 20 ans de la tuberculose – et j'ai demandé à Catherine d'essayer de l'amener à la lui raconter. Elle a été extrêmement habile, réussissant non seulement à capter son attention mais aussi à le faire parler. Toute la scène est improvisée. Au moment où l'échange se noue entre eux, la caméra n'existe plus, on est soudain très proche d'une captation documentaire. D'ailleurs, j'ai laissé au montage un zoom assez maladroit qui ajoute au côté accidentel de la scène. Lorsque Catherine évoque les hirondelles et la gelée blanche, l'actrice sort presque un peu de son personnage : soudain, Betty a cédé la place à Deneuve. C'est ainsi qu'elle parle de la nature dans la vie. La beauté de cette scène un peu magique vient de là. »
« Le film est tout entier inspiré de Catherine Deneuve. La femme autant que l'actrice. J'ai toujours aimé son intelligence, son élégance, sa façon d'être... Certains ont pointé dans mon film des scènes-hommages aux rôles de Deneuve dans d'autres films, chez Truffaut, Téchiné, Dupeyron... Mais tous ces ponts, s'ils existent, sont inconscients. La seule référence explicite, finalement coupée au montage, était une scène où une nuée d'ânes gris cernaient sa voiture. Clin d'œil évident à Peau d'âne de Demy. D'autres se sont émus que je maltraite Catherine, et tout particulièrement dans cette scène, qui joue sur le cliché du lendemain de cuite. Mais ce que je fais dire à ce type, c'est ce que tout le monde pense tout bas. Jamais je n'aurais écrit ces répliques, si je n'avais su que Catherine avait la distance et l'humour nécessaires pour les encaisser. D'ailleurs, elle ne m'a pas fait la moindre réserve sur ce dialogue. Je crois que ça l'a au contraire beaucoup amusée. Il est certes question du fait de vieillir, de la beauté d'une jeunesse envolée, mais en même temps j'ai toujours envisagé le personnage de Betty comme une adolescente. Ce n'est pas un hasard si sa propre mère, chez qui il reste aussi quelque chose de très juvénile, la traite encore comme telle.
Je ne bouscule l'icône – elle détesterait ce mot ! – que pour créer de la comédie. Mais le choix du partenaire était déterminant : tout le monde ne peut pas se permettre de balancer ce genre de phrases à Catherine Deneuve ! Entre Catherine et Paul Hamy, un jeune sculpteur trouvé au cours d'un casting sauvage (qu'on reverra en décembre en compagnon de Sarah Forestier dans Suzanne de Katell Quillévéré, NDRL), une symbiose s'est créée. C'est Deneuve qui m'a convaincue de l'engager. Elle a aimé son côté chien fou et poétique, capable de tout. La naïveté et la tendresse qu'il met dans son jeu font qu'on lui pardonne tout : « Tu ne te vexes pas ? », lui dit-il...
Le tournage de cette scène très écrite était à la fois ludique et bordélique – il ne faisait jamais la même chose, ce qui promettait un montage difficile. Quant au jeu de Catherine, il est d'une incroyable subtilité. Avec elle, ce moment qui aurait pu être purement trivial, voire carrément lourd, devient gracieux. Son élégance sauve tout. A tel point qu'une fois sur le plateau, j'avais envie d'aller plus loin : il existe des scènes coupées au montage où Paul Hamy saute sur le lit comme un dingue. Catherine hallucinait ! »
« J'ai toujours adoré les road movies. Ils font vraiment partie du mythe du cinéma américain. Mais là encore c'est Catherine, toujours Catherine, qui m'a inspiré ce genre là. Immédiatement, je l'ai imaginée sur les routes, au volant d'une voiture.
La plupart du temps, Catherine conduisait elle-même. Ce n'est pas le cas dans cet extrait, où la voiture est tractée par un plateau où s'agglutinait toute l'équipe. Du coup, l'enfant (le propre fils d'Emmanuel Berco, Nemo, NDRL) et l'actrice étaient seuls dans l'habitacle. Ce semblant d'intimité a apporté beaucoup de naturel à leur jeu. Quand ils se chamaillent, et parlent l'un sur l'autre, on a vraiment le sentiment de les surprendre.
Dans cette scène, Catherine est extrêmement vivante. Y compris quand elle se contente de commenter par gestes les réponses de son petit-fils au téléphone. J'aime beaucoup le moment où elle grimace l'air de dire à l'enfant : qu'as-tu à me regarder comme ça ? Deneuve a ce jeu plutôt sobre qui fait de la moindre moue un truc éblouissant. Le fait qu'elle fume fenêtre fermée avec un enfant à ses côtés en dit long sur sa désinvolture et sa façon, un peu transgressive, d'être grand-mère. Quant à la musique, je la voulais sur le regard du gamin, un regard très intense, presque inhabituel pour un enfant. C'est un instant charnière, il fallait le faire comprendre sans s'appesantir. Ces quelques petites notes, qui soulignent aussi le cliché du road movie à l'américaine, me semblaient adéquates.
Au début de l'extrait, Betty dit : « On se croirait en Amérique... » Quand on a écrit cette phrase, mon coscénariste et moi, on s'imaginait des paysages immenses et somptueux. J'avais donc prévu de tourner cette scène sur fond de champs de colza, tout jaunes. On avait repéré un lieu où ils s'étendaient à perte de vue. Mais, aléas des tournages, le colza était mort quand on a été prêt à tourner. Il fallait tout faire vite, avec les moyens du bord : ce n'est qu'un exemple des frustrations ressenties sur ce film, qui a eu énormément de mal à se monter financièrement. « Cette bourgeoise de Catherine Deneuve sur les routes ? Personne n'y croira » : voilà la phrase exaspérante que j'ai entendu dans certains guichets d'aides au cinéma d'auteur. Que voulez-vous répondre à cela ? J'espère que si ces décisionnaires voient le film aujourd'hui, ils reconnaîtront leur erreur : dans Elle s'en va,
Catherine Deneuve a l'air de tout sauf d'une bourgeoise. »
1 - La cigarette
« Au fil des avant-premières, je me suis aperçue que cette scène marquait profondément les gens. Elle a le pouvoir de faire rire. Parfois aux larmes. Je ne m'y attendais pas du tout.
Tout l'enjeu du film est de mettre Catherine Deneuve, la grande actrice, le mythe, mais aussi l'un des visages de la Marianne républicaine, bref la France dans toute sa splendeur, face à une France qu'on voit peu au cinéma, et que je voulais incarner par des « vrais gens », pas par des comédiens qui jouent aux paysans.
J'ai prêté une grande attention au choix des décors. Dans un road movie, les extérieurs sont essentiels. Dès le début, la France photographiée par Raymond Depardon a été l'une de mes sources d'inspiration. Son regard est juste, authentique et respectueux, il se défie de tout pittoresque. C'est la France qui me touche et m'intrigue. Bizarrement, je me sens beaucoup plus à l'aise quand je filme ces gens-là que mon univers parisien avec ses bobos et ses cafés d'en bas...
Le village que Betty traverse dans cette scène devait être typique de cette France profonde, un peu rétro, sans toutefois ressembler à ces bourgs de Bretagne aux airs de Disneyland. Quistinic, dans le Morbihan, correspondait parfaitement aux endroits que j'avais en tête : morts et déserts le dimanche. La scène s'ouvre sur l'un des rares plans séquences du film, quand Betty monte la côte en voiture. Elle cherche une cigarette désespérément et finit par tomber sur ce monsieur incroyable qui restera pour moi le petit miracle de ce tournage. Du genre de ceux que tous les cinéastes espèrent en secret. Dans le scénario, la rencontre entre lui et Betty tenait en deux lignes. Ça devait se passer sur le pas d'une porte, vite fait.
Le papy qui devait donner la réplique à Catherine nous a lâché juste avant le tournage. Il a fallu lui trouver un remplaçant en catastrophe. On cherchait quelqu'un qui roule ses cigarettes. La directrice de casting s'est renseignée auprès du tabac du coin, on a fini par lui indiquer ce monsieur, qui vit dans sa ferme comme il y a un siècle. Le lendemain, elle l'amenait sur le tournage. Il ne savait pas trop ce qu'il faisait là, encore moins qui était cette femme blonde assise en face de lui. Cette ignorance a contribué à créer une atmosphère singulière.
Nous connaissions un peu son histoire – sa fiancée morte à 20 ans de la tuberculose – et j'ai demandé à Catherine d'essayer de l'amener à la lui raconter. Elle a été extrêmement habile, réussissant non seulement à capter son attention mais aussi à le faire parler. Toute la scène est improvisée. Au moment où l'échange se noue entre eux, la caméra n'existe plus, on est soudain très proche d'une captation documentaire. D'ailleurs, j'ai laissé au montage un zoom assez maladroit qui ajoute au côté accidentel de la scène. Lorsque Catherine évoque les hirondelles et la gelée blanche, l'actrice sort presque un peu de son personnage : soudain, Betty a cédé la place à Deneuve. C'est ainsi qu'elle parle de la nature dans la vie. La beauté de cette scène un peu magique vient de là. »
2 - L'hôtel
« Le film est tout entier inspiré de Catherine Deneuve. La femme autant que l'actrice. J'ai toujours aimé son intelligence, son élégance, sa façon d'être... Certains ont pointé dans mon film des scènes-hommages aux rôles de Deneuve dans d'autres films, chez Truffaut, Téchiné, Dupeyron... Mais tous ces ponts, s'ils existent, sont inconscients. La seule référence explicite, finalement coupée au montage, était une scène où une nuée d'ânes gris cernaient sa voiture. Clin d'œil évident à Peau d'âne de Demy. D'autres se sont émus que je maltraite Catherine, et tout particulièrement dans cette scène, qui joue sur le cliché du lendemain de cuite. Mais ce que je fais dire à ce type, c'est ce que tout le monde pense tout bas. Jamais je n'aurais écrit ces répliques, si je n'avais su que Catherine avait la distance et l'humour nécessaires pour les encaisser. D'ailleurs, elle ne m'a pas fait la moindre réserve sur ce dialogue. Je crois que ça l'a au contraire beaucoup amusée. Il est certes question du fait de vieillir, de la beauté d'une jeunesse envolée, mais en même temps j'ai toujours envisagé le personnage de Betty comme une adolescente. Ce n'est pas un hasard si sa propre mère, chez qui il reste aussi quelque chose de très juvénile, la traite encore comme telle.
Je ne bouscule l'icône – elle détesterait ce mot ! – que pour créer de la comédie. Mais le choix du partenaire était déterminant : tout le monde ne peut pas se permettre de balancer ce genre de phrases à Catherine Deneuve ! Entre Catherine et Paul Hamy, un jeune sculpteur trouvé au cours d'un casting sauvage (qu'on reverra en décembre en compagnon de Sarah Forestier dans Suzanne de Katell Quillévéré, NDRL), une symbiose s'est créée. C'est Deneuve qui m'a convaincue de l'engager. Elle a aimé son côté chien fou et poétique, capable de tout. La naïveté et la tendresse qu'il met dans son jeu font qu'on lui pardonne tout : « Tu ne te vexes pas ? », lui dit-il...
Le tournage de cette scène très écrite était à la fois ludique et bordélique – il ne faisait jamais la même chose, ce qui promettait un montage difficile. Quant au jeu de Catherine, il est d'une incroyable subtilité. Avec elle, ce moment qui aurait pu être purement trivial, voire carrément lourd, devient gracieux. Son élégance sauve tout. A tel point qu'une fois sur le plateau, j'avais envie d'aller plus loin : il existe des scènes coupées au montage où Paul Hamy saute sur le lit comme un dingue. Catherine hallucinait ! »
3 - En voiture
« J'ai toujours adoré les road movies. Ils font vraiment partie du mythe du cinéma américain. Mais là encore c'est Catherine, toujours Catherine, qui m'a inspiré ce genre là. Immédiatement, je l'ai imaginée sur les routes, au volant d'une voiture.
La plupart du temps, Catherine conduisait elle-même. Ce n'est pas le cas dans cet extrait, où la voiture est tractée par un plateau où s'agglutinait toute l'équipe. Du coup, l'enfant (le propre fils d'Emmanuel Berco, Nemo, NDRL) et l'actrice étaient seuls dans l'habitacle. Ce semblant d'intimité a apporté beaucoup de naturel à leur jeu. Quand ils se chamaillent, et parlent l'un sur l'autre, on a vraiment le sentiment de les surprendre.
Dans cette scène, Catherine est extrêmement vivante. Y compris quand elle se contente de commenter par gestes les réponses de son petit-fils au téléphone. J'aime beaucoup le moment où elle grimace l'air de dire à l'enfant : qu'as-tu à me regarder comme ça ? Deneuve a ce jeu plutôt sobre qui fait de la moindre moue un truc éblouissant. Le fait qu'elle fume fenêtre fermée avec un enfant à ses côtés en dit long sur sa désinvolture et sa façon, un peu transgressive, d'être grand-mère. Quant à la musique, je la voulais sur le regard du gamin, un regard très intense, presque inhabituel pour un enfant. C'est un instant charnière, il fallait le faire comprendre sans s'appesantir. Ces quelques petites notes, qui soulignent aussi le cliché du road movie à l'américaine, me semblaient adéquates.
Au début de l'extrait, Betty dit : « On se croirait en Amérique... » Quand on a écrit cette phrase, mon coscénariste et moi, on s'imaginait des paysages immenses et somptueux. J'avais donc prévu de tourner cette scène sur fond de champs de colza, tout jaunes. On avait repéré un lieu où ils s'étendaient à perte de vue. Mais, aléas des tournages, le colza était mort quand on a été prêt à tourner. Il fallait tout faire vite, avec les moyens du bord : ce n'est qu'un exemple des frustrations ressenties sur ce film, qui a eu énormément de mal à se monter financièrement. « Cette bourgeoise de Catherine Deneuve sur les routes ? Personne n'y croira » : voilà la phrase exaspérante que j'ai entendu dans certains guichets d'aides au cinéma d'auteur. Que voulez-vous répondre à cela ? J'espère que si ces décisionnaires voient le film aujourd'hui, ils reconnaîtront leur erreur : dans Elle s'en va,
Catherine Deneuve a l'air de tout sauf d'une bourgeoise. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire