vendredi 20 septembre 2019

Christian Bobin , Magicien



Depuis plus de quarante ans, Christian Bobin trace son chemin de mots. On y rencontre des enfants rieurs, des défunts plus vivants que les terrestres, des herbes folles et, parfois, la lumière transperçant un feuillage laisse entrevoir la présence pudique du Dieu invisible. Vigie d’un royaume où la force et la technique n’ont pas prise, Christian Bobin part pour nous en reconnaissance, éclaireur d’une humanité réconciliée avec le souffle spirituel, débarrassée de l’inessentiel.
Christian Bobin dans une paisible clairière
Pour cartographier la vraie vie, pas besoin de se déplacer. Dans un petit essai inédit, L’Amour des fantômes, l’écrivain originaire du Creusot, ville minière, évoque « l’extase de l’“immobilité” », « soudaine et miraculeuse épiphanie de la vie ordinaire ». Ce repos n’est pas inertie. Il est travaillé par une autre force, celle de l’esprit et de ses naissances. « L’esprit inonde les berceaux – une vague de lumière haute de plusieurs dizaines de mètres soulève l’humain dans son apparition. Puis, très vite, déçu par nos apprentissages qui sont autant de soumissions au monde, l’Esprit s’éloigne, recule, attend l’heure favorable pour revenir.Nous naissons par intermittences, cette histoire n’est jamais vraiment finie ni commencée », écrit-il.
En compagnie
Pour solitaire qu’il soit, Christian Bobin pérégrine en bonne compagnie au fil des mots. Écrivains, poètes, mystiques soutiennent ses pas. Dans le « Cahier de l’Herne » qui lui est consacré (1), il exprime sa reconnaissance à leur égard. On y rencontre Léon Bloy – « je me suis longtemps méfié de cet homme qui tirait sur le langage comme un chien fou sur sa chaîne » –, Simone Weil dont « chaque pensée (…) a ce goût de résine de sapin, de très haute et très fière montagne de Grande Chartreuse », Bach et Django Reinhardt, l’écrivain Pierre Michon, le psychanalyste Jean-Bertrand Pontalis…
Dans Pierre, dialogue avec le peintre Pierre Soulages, Bobin poursuit ce bel exercice de gratitude, en se tenant à distance de la flatterie. « Je me moque de la peinture. Je me moque de la musique. Je me moque de la poésie, lance-t-il. Je me moque de tout ce qui appartient à un genre et lentement s’étiole dans cette appartenance. (…) Je cherche le surgissement d’une présence, l’excès du réel qui ruine toutes les définitions. »
Comme un enfant
La force de Bobin est celle de l’enfant qui se joue des apparences et n’accepte pas le faux sérieux de la société. « Poète, écrivain : quelle obscénité de se laisser appeler ainsi. S’il faut un nom, je n’en accepte qu’un, qui n’est pas une identité mais mille pertes d’identité : vivant. »
Vivant, Bobin l’est parce qu’il tient la main des morts, sans les craindre. « Les morts n’ont pas quitté la vie mais ses cloisons prétendument étanches : ce qui fait qu’une pierre n’est pas une rose, et qu’une rose n’est pas une lettre. » Il se met à leur écoute, les laisse rayonner. « Tu me précèdes. Tu parles, tu ris. De temps en temps tu te retournes, et c’est à chaque fois le même miracle, le même soleil donné », écrit-il à Ghislaine, la femme aimée, trop tôt disparue.
Cette vie face à la mort n’est pas lugubre. Elle fait muter la structure même du monde et par là le transfigure. « Un jour, il nous faudra traverser une vitre sans la briser. L’effort sera terrible, qui changera notre cœur en rayon de soleil. » C’est dans cette lumière que Christian Bobin nous propose de vivre. Sans attendre.
Élodie Maurot

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