« La fille de Brest » : L’affaire du Mediator au-delà du cérébral
Courtoisie IXION Communications
Une femme se débat, portée par le courant de la mer d’Iroise. Au large, la grande marée de l’industrie pharmaceutique la guette. Bienvenue dans La fille de Brest d’Emmanuelle Bercot.
Il est évident de croire qu’un film sur l’univers de la médecine soit basé sur une vision cérébrale de son sujet. Le projet est tout autre pour Emmanuelle Bercot, devenue maître dans l’art de l’intuition. Cinéaste de l’adolescence, décortiqueuse de l’amour et des sujets sociaux, actrice et réalisatrice dopée à l’excès, Bercot effectue un retour aux heures passées près du bloc où son chirurgien cardiaque de père opérait. Il n’est pas anodin que ce retour à l’une de ses ambitions d’enfant lui soit dédié.
S’il y a une femme qui aujourd’hui peut s’endormir sur ses deux oreilles, c’est bien Irène Frachon, pneumologue et humaniste. Avec La fille de Brest – fiction inspirée de son livre Mediator 150mg: combien de morts? – Emmanuelle Bercot porte à l’écran le point de vue de ce médecin du CHU de Brest rendue célèbre dans tout l’Hexagone pour avoir dénoncé en 2008 les méfaits du Mediator, un médicament coupe-faim responsable de cas de valvulopathies et d’au moins 2000 morts à ce jour. Si le film ne se targue pas d’une originalité quelconque sur le plan visuel, c’est davantage sa portée qui nourrit ici la démarche de la réalisatrice, celle de rendre hommage à une femme dont la cause est pure et dont la bataille persiste.
Envahie par une intuition médicale prouvant que le Mediator provoque des effets similaires à l’Isoméride, Irène Frachon débute une étude de cas témoin entourée d’une petite équipe de médecins (Benoît Magimel en impeccable professeur Antoine Le Bihan) et de ceux qui dégobillent des chiffres. Le constat pré-duel est simple : deux médicaments, même molécule, l’un des deux ressort d’un scandale qui l’a depuis rendu inapte à une présence sur le marché américain.
Cinéma de l’intuition
Après avoir décliné l’amour sous toute ses formes – adolescent (Clément, La tête haute), fantasmé (Backstage), désabusé (Tirez sur le caviste), ambitieux (Mes chères études), libérateur (Elle s’en va) – Bercot propose une exploration à cœur ouvert de celui qui existe par les autres, l’amour philanthropique. Une seule force anime Irène : celle de rendre justice à des patients trahis jusqu’à la moelle, quitte à en oublier sa vie personnelle et ses enfants, tantôt admiratifs lorsqu’ils la prennent en photo pour un article, tantôt exaspérés par son manque d’attention quand l’un d’eux tombe malade en voiture.
C’est cette même exigence dénuée de mauvaises intentions qui se répercute sur l’adaptation très libre du livre, dont le motif résulte d’un besoin de rappeler le parcours singulier de cette femme forte interprétée tout en justesse par l’excellente Sidse Babett Knudsen (L’Hermine, Westworld). C’est l’expérience d’une vie que la cinéaste porte à l’écran après la bouleversante tranche d’adolescence captée par La tête haute(2015) et l’approche viscérale d’une femme amoureuse d’un pervers narcissique dans Mon Roi (2015). La relation privilégiée qu’entretient Bercot avec l’ultra-sensible Maïwenn tombe sous le sens depuis que le duo conserve une mission commune: mettre en avant les figures féminines fortes des temps modernes.
Le besoin d’un électrochoc
Corinne – l’une des nombreuses victimes du Mediator – est la seule patiente de Frachon à qui le film donne assez de substance pour en faire un personnage à part entière. Mettre un visage sur les vies que le médicament des laboratoires Servier a détruit est une première étape, la deuxième retraçant l’exposition crue des horreurs de ce crime national. La valeur d’un cinéma profondément humain mais viscéral rentre en jeu.
On pense à une scène de ce dernier long métrage dans laquelle il est clairement difficile de soutenir le regard face à un corps obèse disséqué pour les biens de l’autopsie. Cette vue insoutenable se fait l’écho de la seconde séquence d’opération du film dont la perception est double : l’approche technique et méticuleuse précède l’ennui du regard extérieur, mais la longueur des plans incarne la réalité du désastre médical dont témoigne la pneumologue. En farfouillant le corps humain, Bercot en extrait une lucidité propre à la volonté première de Frachon tout en remplissant sa propre mission, celle de donner une voix à ceux que l’on a désigné comme étant des dommages collatéraux et qui attendent encore leur indemnisation.
Certaines facilités de présentation des effets temporels escortent La Fille de Brest, mais il paraît ingrat de reprocher à la cinéaste française d’en faire un polar lorsque Irène Frachon elle-même – qui a participé à l’écriture du scénario – dit avoir vécu un véritable thriller. Comment ne pas tiquer sur cette scène où les chiffres défilant aux côtés d’Irène sur fond de montage juxtaposé, qui appauvrit le récit à la manière d’un thriller de bas étage? La facilité symbolique et visuelle des résultats qui doivent être immédiats et du combat qui lui s’étire dans le temps illustrent une première partie maladroite rattrapée par un marathon à l’image de sa protagoniste, rustre mais touchant.
En vulgarisant le ressenti médical au profit du prochain, Emmanuelle Bercot rejoint l’un des objectifs cinématographiques dont la structure repose sur l’expérience humaine étendue à l’universel. À une époque où la récente élection américaine a rendu le monde fébrile face à l’art de la désinformation et où la présidentielle française manque déjà cruellement de transparence, le huitième film de la réalisatrice ne marquera pas les esprits par sa mise en scène, mais par l’acharnement feel good qu’il dégage et l’importance de donner une voix aux héros désintéressés de son temps.
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