Emmanuelle Bercot, tragédienne
FACE À FACE, D'INGMAR BERGMAN. THÉÂTRE DE L'ATELIER, PARIS-18€,
01-46-06-49-24,21 HEURES. DU 16 JANVIER AU 24 FÉVRIER.
**** Nombre de réalisateurs de cinéma écument les théâtres pour y faire leur marché. Depuis quelque temps, la scène leur rend la pareille, elle se nourrit de cinéma. Spectacle le plus marquant depuis septembre ? « Après la répétition », tiré du film de Bergman par le collectif Stan. Et maintenant c'est « Face à face », du même auteur, que Léonard Matton porte magnifiquement à la scène. Il est vrai que Bergman, créateur multicarte, était à la fois homme de théâtre, de cinéma et de télévision (avant d'être un film, « Face à face » fut un téléfilm en quatre épisodes, en 1976). C'était aussi un écrivain. Il suffit pour s'en convaincre de lire ses scénarios. Du film, Berginan semon trait malcontent. Il se reprochait d'avoir guidé Liv Ullmann dans de mauvaises directions. Emmanuelle Bercot l'au rait-elle satisfait davantage ? Il aurait en tout cas été saisi par la justesse de son interprétation. Elle incarne ici Jenny Isaksson, psychiatre réputée, modèle d'équilibre et d'énergie, qui plonge dans la dépression et cherche à mettre fin à ses jours à la suite d'une tentative de viol. Bien que le sujet ne soit pas folichon, le spectacle est rendu prenant et même
fascinant par la subtile mise en scène de Léonard Matton, l'excellence de sa distribution (Evelyne Istria, comédienne rare aux deux sens du terme : à la fois exceptionnelle et trop peu employée, Nathalie Kousnetzoff, Lola Le Lann, David Arribe, Thomas Gendronneau). Et bien sûr Emmanuelle Bercot, plus familière de l'écran que des planches, qui se précipite au fond du gouffre avec son personnage et nous y entraîne à sa suite. Il y a quelque chose de Maria Casares dans la puissance de son jeu. Jadis les cris d'épouvante d'une actrice nommée Paula Maxa provoquaient, paraît-il, des évanouissements en pagaille dans le public du Grand-Guignol. Sans aller jusque-là, Emmanuelle Bercot transmet si bien l'effroi du médecin devenu malade, en proie à des hallucinations terrifiantes, qu'on en sursaute et frissonne avec elle. Ce n'est pas seulement un spectacle mais une formidable expérience sensorielle. Une exploration des abysses dont on revient secoué mais apaisé. Le pouvoir cathartique du texte prouve qu'il confine à la grande tragédie.
JACQUES NERSON
la
L'OBS/N°2827-10/01/2019
NOUVEL
OBSERVATEUR
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