jeudi 30 avril 2020

Interview d'E Devos

Emmanuelle Devos : «Je suis en train de virer drastiquement anti-consumériste»
LIBERATION
Par Anne Diatkine — 30 avril 2020 à 06:01
Emmanuelle Devos, en 2017. Emmanuelle Devos, en 2017. Photo Lionel Bonaventure. AFP

Comment appréhende-t-on le passage au déconfinement ? Qu'a-ton rencontré «pendant» que l'on tient à conserver «après» ? «Libération» a posé la question à...
Emmanuelle Devos, actrice :
«J’ai découvert que j’étais faite pour le confinement. Et que donc, probablement, je ne me déconfinerai pas ou le moins possible. En dehors de ma famille et de quelques amis, j’ai besoin de voir peu de gens. J’habite après le Périph et, avec la réclusion obligatoire, je m’aperçois combien je suis contente de ne plus aller à Paris. Attention, ce qui se passe pour la culture est une catastrophe et on n’a pas fini d’en voir les ravages. 
On n’a aucune vision de rien. 
Je dois tourner un film cet été, on est tous dans le même bain, on ignore quand les tournages vont pouvoir reprendre, si les assurances vont accepter d’assurer. 
Je suis une actrice chanceuse, j'ai des beaux projets. 
Mais qui peuvent tout-à-fait rester éternellement en suspens. Au début du confinement, le massacre dans le champ culturel m’a énormément angoissée. Donc on allait vivre sans ? 
Sans perspective, sans nouveaux films, sans nouvelles pièces et ce, pendant très longtemps ? Une privation qui concerne aussi bien la spectatrice que je suis, que l’actrice. Les acteurs ont l’habitude de cette insécurité professionnelle. Quand on nous parle d’un film, on sait qu’il se tournera, s’il se tourne, trois ans plus tard. J’ai toujours vécu avec l’idée que, dans six mois, je ne travaillerai plus, qu’il faudra que j’invente autre chose. 
«C’est la période idéale pour lire, plus aucun garant moral ne nous interdit de nous allonger avec un gros bouquin l’après-midi, quand la concentration est meilleure que le soir. Je me suis attaquée à un gros morceau, Ulysse de Joyce en lisant en parallèle les Cours de littérature de Nabokov. C’est Arnaud Desplechin qui m’a donné ce tuyau en me disant : «Tu lis un chapitre et puis tu lis ce qu’en dit Nabokov. Tu fais exactement ce qu’il te dit.» Cela dit, même avec la béquille Nabokov, ça reste dur. J’ai lu Anna Karénine aussi, il était temps ! 

Je regarde presque un western par jour. J’adore les westerns, ce genre-roi qui contient tous les autres, la comédie, la tragédie et l’espace. 

On dépense moins, je continuerai à moins dépenser après le confinement, ça apaise. Je suis en train de virer drastiquement anti-consumériste. Certes, je suis privilégiée, j’ai déjà l’essentiel : un logement, de quoi m’acheter de la nourriture, et mes placards contiennent de quoi m’habiller jusqu’au restant de mes jours. J’avais développé des prémisses de cette tendance "no conso" auparavant, mais je ne les aurais peut-être pas développées à ce point : quand je me suis fait voler ma Smart pourtant bien pratique pour aller dans Paris, j’ai haussé les épaules et je me suis mise à marcher. 

En ce moment, on est moins vus, ce qui est également agréable. Dorénavant, et de manière encore plus consciente qu’avant, je volerai directement de chez moi aux plateaux de théâtre et tournage, sans passer par la case rencontres, mondanités et autres dîners stratégiques.»

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