Les Séniors revus par Bobin
" Chacun de ces vieillards est immense et ne le sait pas, et se moquerait si on le lui disait. Il faudrait que quelqu’un aille les chercher un par un, et les sorte de leur torpeur qu’ils prennent pour une fatalité, un ordre venu d’en haut. Nous finirons tous en miettes. J’ai pour eux la colère qu’ils n’ont plus. Ils sont bien plus abandonnés que les jonquilles sauvages dans les bois où aucun promeneur ne va. Leur petite enfance promettait infiniment plus de lumière que ces fleurs et maintenant ? Le vent est un saint dont on ne voit jamais le visage. Il ne cesse pas de parler aux jonquilles. Même quand il ne parle plus, elles continuent de l’entendre et ici, dans cette salle, où est le vent ? Pauvres, pauvres flammes chancelantes. Étoiles qui balbutient. Ce que ces gens ont d’adorable, c’est d’être en vie malgré tout, malgré eux et les plus ravagés sont les plus royaux. J’ai vu de l’or dans le néant, des bijoux de visages jetés dans la boue. Nous finirons tous en miettes mais ces miettes sont en or et un ange, l’heure venue, travaillera à partir d’elles à refaire le pain entier."
Christian Bobin - L'homme joie - Photo de Claire Line Peronnet - Les séniors -
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