dimanche 24 mai 2015

Elle l'a franchi

Emmanuelle Bercot, portrait d’une affranchie

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Pour son rôle dans «Mon Roi», de Maïwenn, Emmanuelle Bercot partage le prix d'interprétation féminine du Festival de Cannes 2015 avec Rooney Mara («Carol»).
Emmanuelle Bercot et Vincent Cassel dans «Mon Roi» - PHOTO : SHANNA BESSON
«Audace, liberté, anti-conformisme», voici les qualificatifs qu’Emmanuelle Bercot choisit dans son discours de remerciement pour définir le travail de sa complice Maïwenn. Mais ils pourraient surtout s’appliquer à elle-même, tant ils la caractérisent parfaitement.
On le sait, Cannes peut changer une carrière, changer une vie. L’an dernier, Xavier Dolan devenait la coqueluche du cinéma mondial avec son film coup de cœur Mommyqui le faisait définitivement passer dans la cour des grands. Cette année la star de cette 68e édition, c’est elle: Emmanuelle Bercot. Son nom ne vous disait peut-être rien il y a encore quelques semaines, mais avec son prix d’interprétation pour Mon Roi, le film de Maïwenn (partagé ex-aequo avec Rooney Mara dans Carol) et l’accueil chaleureux de son propre film La Tête Haute, présenté en ouverture, on peut dire qu’elle rafle la mise.
Et c’est amplement mérité, puisque cela fait maintenant une quinzaine d’années qu’elle creuse son sillon plutôt discrètement, sans faire de concession. Retour sur le parcours d’une femme libre au parcours radical.
Diplômée de la Femis, elle réalise en 1999 un moyen métrage très remarqué: La Puceavec Isild LeBesco (sœur de Maïwenn) qui tiendra une place importante dans sa filmographie. Elle y aborde déjà un sujet sulfureux: le dépucelage d’une adolescente par un homme mûr.
2001: Premier long-métrage, Clément, présenté à Cannes dans la section «Un Certain Regard», un véritable pavé dans la mare d’un jeune cinéma français souvent timoré. Il raconte l’histoire d’amour brûlante et charnelle entre une femme de la trentaine (jouée par Bercot elle-même) et un adolescent de treize ans. Elle n’épargne rien des détails intimes de la relation, aborde ses personnages sans pudeur mais avec un grand respect. Le discours post soixante-huitard ultra risqué sur la liberté d’aimer à tout âge démontre déjà l’immense courage de la réalisatrice et l’absence total de calcul de carrière.
Une radicalité qui la marginalisera puisque le film passe totalement inaperçu, sapé par son propre producteur qui, effrayé par le sujet tabou et les réaction suite à son passage sur Arte, fera tout pour limiter sa diffusion, jusqu’à empêcher son édition en vidéo.
2004: Backstage, deuxième film à plus gros budget avec en vedette Emmanuelle Seigner, dans le rôle d’une chanteuse icône de la variété (simili-Mylène Farmer), qui est confrontée à une jeune fan passionnément dévouée (Isild LeBesco) avec laquelle elle tisse des liens ambigus. Dès les premières scènes on est entre les frères Dardenne et Pialat : c’est fort, c’est vivant, c’est cru.
La réalisatrice absorbe l’essence de la culture populaire tout en posant un regard à la fois tendre et poétique sur des personnages aux antipodes l’uns de l’autre, qui , là encore, vont vivre une relation dévorante et «contre nature». Réinventer l’amour semble être une obsession pour Bercot, elle qui ne pose jamais de jugement sur les sentiments confus de ses personnages. On est à l’opposé des bavardages de la petite bourgeoise parisienne nombriliste d’un Arnaud Desplechin, alors encensé par les critiques et la profession. Le film sera encore une fois rejeté par le public et une partie de la presse, qui ne le comprend pas.
2011: Polisse. Après l’échec de Backstage, Emmanuelle Bercot disparait provisoirement des écrans. Il faudra attendre que Maïwenn fasse appel à elle comme scénariste et comédienne dans Polisse pour la revoir enfin. Le film est un véritable électrochoc au Festival de Cannes où il remporte le prix du jury et connaîtra le succès que l’on sait. Elle y incarne une jeune femme flic au tempérament bien trempé, avec un naturel déconcertant. C’est une révélation. Sa carrière est relancée.
2013: Elle s’en va. Retour à la réalisation enfin, avec cette comédie dramatique subtile et profonde. En apparence Emmanuelle Bercot s’est calmée, mais à y regarder de près, Catherine Deneuve incarne une vieille dame qui n’accepte pas son âge, qui refuse les conventions, qui fugue, qui boit, qui ne fait rien comme tout le monde. L’esprit rebelle est bien conservé. Le film est une totale réussite, explorant un panel de sentiments exceptionnellement large, et se voit comme une hymne à la liberté. Il lui vaut un joli accueil critique et public.
Qu’elle soit cinéaste ou comédienne, Emmanuelle Bercot est désormais une personnalité qui compte dans le cinéma français. Et on souhaite qu’à l’image de La Tête Haute, son dernier long-métrage, elle ne renonce jamais à sa faculté de déranger, bousculer et faire vibrer le cinéma français.

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