samedi 16 mai 2015
La critique de Marc Godin
La tête haute et les sans-dents
Consternantes aussi, les critiques de Libé, qui ont exécuté le film d’Emmanuelle Bercot, La tête haute, en l’affublant du qualificatif le plus infâmant imaginable, « zarkozyste », et en fustigeant son discours « consensuel », « normatif ». Et de se répandre, lors d’un long paragraphe, sur le fait que le personnage de la mère toxique du héros, interprétée avec brio par Sara Forestier, a les dents pourris, ce qui semble vraiment intolérable pour ces bobos qui n’ont vu des prolos que dans les films des frères Dardenne. La critique est subjective, c’est ce qui en fait sa beauté, mais ici les journalistes de Libé stigmatisent une œuvre parce qu’un de ses personnages a « une dentition explosée ». Pourtant, ce détail reflète une réalité du lumpenprolétariat : comment se payer le dentiste, voire l’orthodontiste, quand on ne sait même pas comment on va manger le lendemain ? Pour ma part, j’ai été touché par la force du film d’Emmanuelle Bercot, sa pudeur, sa retenue, à mille lieux de la manipulation du médiocre Polisse de Maïween. On suit donc sur une dizaine d’années le parcours chaotique d’un délinquant multirécidiviste, entre visites dans le bureau de la juge, séjours en prison, en institutions ou en centres fermé pour mineurs. Ultra-documenté, très bien écrit, La Tête haute est sobrement et superbement mis en scène. Pas de caméra épileptique, mais plein de trouvailles, je pense notamment aux séquences – toutes filmées différemment – dans le bureau de la juge. Les acteurs sont admirables et j’ai rarement vu Catherine Deneuve et le revenant Benoît Magimel, aussi justes, parvenant à émouvoir avec une incroyable économie de moyen. Quant à Rod Paradot, c’est la révélation de Cannes. La tête baissée, cachée sous sa capuche, des yeux fendus, à la fois inquiétants et perdus, Paradot incarne avec rage ce môme paumé, à fleur de peau, qui va - peut-être - s’ouvrir à l’amour et accepter les mains tendues. Une vraie claque…
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