Bercot a la cote
Emmanuelle Bercot sera omniprésente à Cannes. La Tête haute qu’elle réalise, est un drame social sur la justice des mineurs porté par une Catherine Deneuve exemplaire et Rod Paradot, un jeune inconnu. C’est la première fois qu’un film d’auteur a les faveurs de la première soirée. Emmanuelle Bercot est également très attendue sur la Croisette pour Mon roi, le long-métrage de Maïwenn où elle partage l’affiche avec Vincent Cassel.
Ouvrir Cannes, c’est une chance ?
Emmanuelle Bercot: Faire l’ouverture avec un film d’auteur français, aussi modeste, qui contraste avec ce que l’on connaît habituellement à Cannes ça me surprend et ça m’honore. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est que le festival prenne le risque. C’est à double tranchant aussi. J’ai hésité à accepter la décision car ça supposait que le film sorte le même jour alors qu’on avait prévu une sortie le 30 septembre. Cannes l’a emporté. J’aime les choses insolites et c’est très insolite.
Qu’est-ce que ça représente d’être à Cannes ?
Ce festival a un tel prestige, un tel pouvoir de représentation… Il y a aussi des enjeux commerciaux qui ne me regardent pas tellement mais qui sont importants. Le cinéma reste une industrie et il faut vendre. Cannes donne une réelle photographie annuelle du cinéma. Ne pas y être doit être douloureux. On se sent marginal, rejeté, exclu. J’ai eu la chance d’y aller dès mes débuts. J’avais l’impression d’être légitime. C’est précieux de savoir où on se situe, d’être identifié quelque part. Longtemps, j’ai eu l’impression de ne pas avoir une place précise dans la tête des gens, d’être un peu partout et nulle part. Être à Cannes, c’est faire partie d’un flot. On est sur la photo.
A quel moment vous êtes-vous sentie légitime ?
Grâce à Cannes. Mes trois premiers films, courts et longs, y étaient. Ils ont fait très peu d’entrées. Je n’existais pas aux yeux du grand public. Mais j’avais le soutien de la presse. Je me sens concernée par le nombre d’entrées que font mes films depuis très peu de temps. Je n’ai pas soif de notoriété, ni de pouvoir, ni d’argent. Mais maintenant, j’ai envie que les gens aillent voir mes films. Avant, finir la réalisation et avoir de bonnes critiques me suffisaient.
Vous lisez donc les critiques.
Toujours. Ce sont nos premiers spectateurs. J’aime lire les critiques car j’apprends énormément sur mes films. Ils révèlent des choses inconscientes qui sont très justes. Mais une mauvaise critique ne va pas me démolir. Je suis blindée.
Que vous a dit Thierry Frémaux quand il a sélectionné la Tête haute ?
Que c’était un film qui touchera largement les gens. Il voulait un film universel mais pas consensuel. Il a dit que c’était le film idéal post-Charlie, de par son sujet, l’éducation. Et le destin des terroristes de Charlie pose cette question-là. Leur passage en prison aussi.
C’est un film auquel vous songiez depuis longtemps?
Depuis toute petite, je suis sensible aux questions de justice. J’ai un oncle éducateur. Un jour, il a organisé un camp sur la plage avec des jeunes. Il m’a emmenée. Il n’y avait que des garçons. Moi qui ai grandi dans un milieu bourgeois (un grand-père PDG de Citroën de 1958 à 1970, un père chirurgien cardiaque, ndlr), j’étais fascinée par ces jeunes garçons. Il y avait des délinquants, des criminels. J’ai un souvenir marquant de cette journée. Je ne connaissais rien à la justice des mineurs. Je n’ai jamais été passionnée à ce point par ce que je racontais, cet univers du travail qui entoure les jeunes en danger et les délinquants dans la justice des mineurs. J’ai fait un travail d’enquête énorme, un stage au tribunal pour enfants de Paris. J’aurais eu dix ans de moins, j’aurais passé le concours de la magistrature pour devenir juge des enfants. Et je ne dis pas ça pour faire ma maligne.
Il y a un lien évident avec Polisse.
Ah oui ? Les films n’ont rien à voir mais ils parlent de la protection de l’enfance, c’est vrai. Polisse, à travers la brigade de protection des mineurs. Moi, via le travail éducatif de la justice. D’une certaine manière, le petit enfant qui ouvre le film aurait pu se trouver dans Polisse. C’est une collision hasardeuse. En même temps, je ne crois pas trop au hasard.
Le film a-t-il été compliqué à monter ?
C’est la première fois que je constate un tel engouement pour l’un de mes scénarios. Il s’est financé assez facilement. La difficulté de trouver des financements, c’est ce qui prend parfois du temps. Avec Marcia Romano, l’écriture s’est étalée sur quatre ans. J’ai fait deux films entre-temps.
La direction d’acteurs… c’est plus simple quand on est soi-même actrice ?
Mon grand plaisir, c’est le travail des acteurs. Il n’y a pas une méthode. J’agis selon la personne que j’ai en face de moi et de ses besoins. Catherine Deneuve, je la connais bien. Avec elle, c’est très simple on n’a pas besoin de beaucoup se parler Jusqu’ici, j’ai toujours fait jouer des acteurs non professionnels qui étaient proches des personnages. J’ai toujours eu des évidences que ce soit avec Isild Le Besco ou Olivier Guéritée qui jouait dans Clément. Pour la Tête haute, je n’ai pas trouvé le garçon que je cherchais. Il fallait que je me décide, soit je ne faisais pas le film, soit je m’adaptais. Avec Rod Paradot qui était en CAP menuiserie dans un lycée pro, j’avais un garçon qui n’était pas acteur et très loin du rôle qu’il devait donc jouer. L’emmener là où je voulais a été très lourd. Je lui demandais des choses difficiles car son tempérament est à l’opposé du personnage. C’est un garçon très sociable, bien élevé, bien dans sa peau, avec peu de violence en lui. On a fait un nombre de prises colossal. Je me suis battue avec lui pour obtenir ce que je voulais. Il est très féminin, il a une douceur dans le visage qui n’est pas dans le cliché de la racaille. à l’écriture du scénario, on voulait surtout ne pas stigmatiser le personnage principal comme issu de l’immigration, fumeur de pétards, dealer, fan de rap. Le point commun des délinquants ce n’est pas leur couleur de peau, c’est une histoire familiale difficile. Il n’y a pas d’exception. Il n’y a pas de déterminisme social mais tout réside dans l’éducation.
On a beaucoup parlé de la direction d’acteurs d’Abdellatif Kechiche. Votre sentiment ?
J’ai vu quasiment tous ses films. Je suis contre le déballage. Un film doit être vierge, si possible. Il n’y a que le résultat qui compte. Ce qui se passe en coulisses, ça ne devrait regarder personne. ça abîme les films. Après, le talent n’autorise pas tout. On n’a pas le droit de faire n’importe quoi au titre du cinéma. Maltraiter des gens, ça ne peut pas exister même au nom d’un chef-d’œuvre.
Être une femme dans ce milieu modifie-t-il votre façon de fabriquer vos films ?
Non. Pour moi ce n’est pas un sujet. Je n’ai jamais senti que ça pouvait être un handicap d’être une femme dans ce métier. Je dirais même peut-être au contraire. Quand on est réalisatrice, il faut mettre en avant sa part masculine, c’est vrai. On est la chef de guerre. Faire un film c’est une bataille de tous les instants, contre le temps, l’argent, l’adversité. Il y a des réalisateurs qui sont amenés à mettre leur part féminine en avant. J’ai une équipe majoritairement masculine mais il n’y a aucun macho. Je ne me sens pas méprisée. Au contraire, il y a quelque chose de bienveillant chez les hommes de l’équipe.
Vous serez aussi à Cannes avec le film de Maïwenn.
Le travail avec Maïwenn est toujours passionnant parce qu’il n’est pas traditionnel. Sa méthode, on la rencontre très peu. Mon roi est un film entièrement improvisé. Le scénario et les situations sont écrits mais les dialogues sont improvisés. Pour un acteur, c’est un vertige permanent, un exploit quotidien. Faire une prise de quarante-cinq minutes, c’est jouissif. Le rapport à l’autre acteur est unique. Si on n’est pas complètement à l’écoute, ça ne marche pas. Maïwenn est très présente. Elle ne nous laisse pas à l’abandon. Elle est au milieu du ring avec nous.
Que ferez-vous après Cannes ?
Je tourne mon prochain film fin octobre. J’ai perdu beaucoup de temps quand j’ai démarré dans ce métier, les choix que j’ai faits, des films qui n’ont pas vu le jour. Il y a quelques années, j’ai paniqué et je me suis dit qu’il fallait que je rattrape le temps perdu, que je compense les regrets, que je tourne beaucoup plus. J’ai initié trois projets en même temps : Elle s’en va, la Tête haute, et bientôt la Fille de Brest qui raconte le combat d’Irène Frachon dans l’affaire du Mediator.
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