Dans son nouveau film, « La Tête haute », Emmanuelle Bercot met en scène l’itinéraire d’un ado « ingérable » mis au ban de la société. Ses seuls atouts (éventuels) en ce bas monde : une juge pour enfants et un éducateur, lui-même ex-délinquant.
Ce film puissant, qui confirme le talent atypique de la cinéaste, n’avait a priori pas le profil pour être présenté en ouverture du festival de Cannes. Une « case » d’ordinaire réservée aux fictions dites de prestige, avec pléthore de stars susceptibles d’aimanter les regards sur le bien connu tapis rouge : ces deux dernières années, « Gatsby le magnifique », avec Leonardo DiCaprio et« Grace de Monaco », avec Nicole Kidman.
« La Tête haute » est une fiction inscrite de plain-pied dans une certaine réalité de l’Hexagone, aux antipodes des inoffensifs divertissements pour inaugurations festivalières.
Le bureau d’une juge pour enfants, dans le tribunal d’une ville de province. Face à la magistrate, un gamin de 6 ans muré dans le silence, Malony, et sa jeune mère, Séverine, qui ne semble rien comprendre (ou si peu) au discours de la juge concernant la nécessité de se « structurer » sous peine de se voir enlever la garde de sa progéniture.
Réalité brute
Violence psychologique, famille dysfonctionnelle et « mots pour le dire » qui pointent cruellement aux abonnés absents… Dès la première scène de « La Tête haute », Emmanuelle Bercot, fidèle à sa manière (scrupuleusement à vif), rentre dans le lard de son film et plonge dans la réalité de ses personnages. Malony, un gosse sans repères. Séverine, une mère larguée et en tout marginalisée. La juge, qui en a vu (beaucoup) d’autres, sait combien ses arguments répondent à des codes inintelligibles pour sa « clientèle », mais semble néanmoins croire encore en l’utilité de sa mission.
« La Tête haute » ne lâchera plus d’une semelle ces trois personnages. Auquel s’adjoint bientôt un quatrième protagoniste capital : Yann, l’éducateur, qui va devoir s’occuper du cas problématique de Malony.
Refusant l’option prison, la juge envoie l’ado mal en point, fâché avec toutes les conventions de l’ordre social, dans un centre spécialisé où, en compagnie de quelques contemporains, loin de son environnement toxique (en premier lieu de son environnement familial), il apprendra peut-être à s’inventer un avenir.
L’éducation, « un droit fondamental »
A l’heure de bâtir son scénario, Emmanuelle Bercot, cinéaste passionnée depuis ses débuts par l’enfance dans tous ses états (« Clément », « Elle s’en va »), avait mis une phrase en exergue de son récit :
« L’éducation est un droit fondamental. Il doit être assuré par la famille et, si elle n’y parvient pas, il revient à la société de l’assumer. »
« La Tête haute » incarne cette croyance. Aux antipodes des innombrables fictions lénifiantes sur les « ados difficiles » vues sur le grand et le petit écran, le film, au plus près de son anti-héros, donne à voir sous toutes les coutures ambivalentes le réel d’un ado en rupture et la conviction de quelques personnages de bonne volonté, qui, avec leurs faibles moyens, refusent d’abandonner leurs convictions éducatives.
Sans complaisance vis-à-vis de son personnage principal, une boule de nerfs qui « œuvre » à son autodestruction, Emmanuelle Bercot met en scène avec une intensité de chaque séquence la marginalisation radicale qui afflige son protagoniste et les remparts dressés tant bien que mal par la juge et l’éducateur (eux-mêmes plus d’une fois en proie aux doutes et à l’exaspération) pour lui éviter le pire.
Aucun sentimentalisme ou démagogie dans ce film tendu à l’extrême, mais un attachement de chaque instant à des personnages qui travaillent modestement à une reconstruction identitaire, malgré les embûches de toutes sortes.
Stopper la dégringolade
Même s’il n’avance pas avec de grands airs de film à thèse ou de fiction militante, « La Tête haute », génialement interprété par ses acteurs (Catherine Deneuve, Benoît Magimel, Sara Forestier et le sidérant débutant Rod Paradot), rend hommage à celles et ceux qui, dans leur boulot, au plus près des mineurs, tentent avec les moyens du bord (qui sont faibles) de contrecarrer la logique accablante du déterminisme social. La cinéaste s’en explique :
« La justice des mineurs est fondée sur l’idée que rien n’est totalement joué d’avance pour un enfant et qu’avec une action éducative, il est possible de stopper la dégringolade. Comment gérer cela sans baisser les bras – parce que les résultats, quand ils adviennent, sont longs à obtenir ? C’est ce que raconte le film. »
Et ce qu’il raconte plus que bien. Salutaire en ces temps où sévit partout la tentation de démissionner.
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