Par Claire Micallef
Vraie cinglée de cinéma
LE PLUS.
La 68e édition du festival de Cannes s'est ouverte cette semaine avec le film "La Tête haute", d'Emmanuelle Bercot. Catherine Deneuve y incarne un juge pour enfants qui tente de sauver un jeune en difficulté (Rod Paradot). Contrat rempli haut la main, pour notre contributrice ciné Claire Miccallef.
On ne peut que se réjouir que, pour son film d'ouverture, le festival de Cannes ait remisé ses mises-en-bouche écœurantes façon "Gatsby le magnifique" et "Grace de Monaco" au profit d'un drame social taillé à la serpe. Saluons le choix de Thierry Frémaux, délégué général du festival de Cannes, qui en préférant Rod Paradot à la parade clinquante, a pris le parti d'ouvrir le bal sur les chapeaux de roue.
Au sens propre comme au figuré, puisque le générique de ce film à l'élan ravageur est lancé sur une scène de conduite débridée sur le parking caillouteux d'une cité de Dunkerque.
Celui qui s'amuse à multiplier les embardées au volant et à faire crisser les pneus avec l'assentiment de sa mère hilare à l'arrière, est loin d'être en âge d'avoir le permis. C'est Malony (Rod Paradot), un jeune garçon d'une quinzaine d'années, la casquette baissée sur des yeux de défi, la moue narquoise et la réplique insolente qui se retrouve dans le bureau de la juge pour enfants (Catherine Deneuve), celle-là même qui avait décidé, une dizaine d'années auparavant, de son placement en foyer. À l'époque, sa génitrice (Sarah Forestier) voulait à tout prix se défaire de celui qu'elle appelait un "petit diable" ; aujourd'hui la mère indigne, complice, fait front commun avec son fils contre l'autorité.
La main-tendue d'une juge, métaphore du film
"La tête haute" se place d'emblée sous le signe du revirement, de l'alternance incessante entre les retours temporaires au droit chemin de Malony circonscrits par le bureau de la juge et les centres d'éducation fermés et ses fatales sorties de rails (vol avec violence, conduite sans permis, fugue) qui refont s'ébouler quelques pierres de l'édifice reconstruit à force de patience par la juge et les éducateurs.
"Nous, on pose les rails mais on ne peut pas conduire la locomotive à leur place" dira une Deneuve engagée et lucide.
Au-delà de la main tendue de la juge (véritable métaphore du film et belle scène ou affleure l'émotion), de la patience à toute épreuve et de l'écoute de l'éducateur (formidable Benoît Magimel, en écorché vif, tout en virilité douce), il en va surtout du bon vouloir de Malony à contenir ses accès de violence, à se concentrer sur un "projet" comme le répète à l'envi son éducateur.
À cet égard, et c'est ce qui contribue à la richesse du film, le personnage est ambigu, oscillant entre volonté farouche de se ressaisir, de faire en sorte que lui, sa mère et ses frères s'écartent définitivement de la mauvaise voie et fatalisme provocateur, je-m’en-foutiste voire cynique comme dans cette scène stupéfiante où, avec l'intention manifeste de narguer une éducatrice, il avoue être un bon acteur jouant à la perfection le rôle du jeune qui veut s'en sortir.
Entre optimisme et fatalisme
Le message d'espoir de "La tête haute" se niche dans un oxymore : le personnage, que le film n'a de cesse, sur le mode de la gradation, de montrer comme irrécupérable semble toujours susceptible de se "récupérer", grâce à la persévérance des juges et d'éducateur. Ce qu'il fera, mû par la force d'un sentiment et d'une nouvelle responsabilité qu'il décidera crânement d'endosser.
La paternité peut-elle être l'élément déclencheur d'une rédemption, d'un assagissement ? Voilà la question que pose, parmi tant d'autres, le film qui est tenté de répondre par l'affirmative, tout en tenant un discours plutôt pessimiste sur un éternel retour héréditaire.
Hier, c'était l'irresponsabilité de la mère qui était en cause, désormais ce sont les agissement du fils qui lui valent d'être entendu par la juge : fatal passage de témoin judiciaire, dramatique répétition des mêmes erreurs (avoir un enfant trop jeune et "un enfant, c'est du boulot" constate Sara Forestier, ce qui ne manque pas de sel vu le personnage) que le film, sous ses dehors de manifeste anti-déterministe, ne cessera de constater (sans doute malgré lui ?) avec un brin de fatalisme.
Une dramaturgie de l'étincelle
Au-delà du message d'espérance bienvenu et de l'hommage magnifique, pas loin de la lettre d'amour, rendu au personnel éducatif, "La tête haute" évite tout discours univoque, donne matière à réflexion. Suivant un rythme binaire entre recadrage et sortie de cadre (au sens judiciaire et filmique), entre calme relatif et fureur dévastatrice, entre stabilité et chaos de l'image, le film se tient sur un fil et construit avec brio, de scène en scène, ce que l'on pourrait appeler une dramaturgie de l'étincelle.
C'est dans cet équilibre instable, dans ce calme relatif avant une tempête déclenchée par un mot, un geste, que le cinéma de Bercot trouve sa puissance. Si, comme le revendiquaient les "Cahiers du cinéma" dans leur numéro du mois dernier, l'efficacité d'un scénario tient en partie à sa façon de passer des vitesses, "La tête haute" remplit haut la main le contrat. D'une énergie folle, il rétrograde, freine brutalement, avance à toute berzingue, porté par l'exceptionnel Rod Paradot,à la fois force centripète et force centrifuge du film.
Catherine Deneuve en pilier de ce drame
Seule ombre au tableau : la dentition postiche d'une Sara Forestier qui menace à chacune de ses apparitions de grignoter le dispositif réaliste et documentaire de Bercot et dont la performance quasi-grotesque, à des années-lumière de "L'Esquive" ou de "Suzanne" (que "la Tête haute" n'est pas sans rappeler) confère au film un aspect "cour des miracles" tantôt risible, tantôt bienvenu.
Deneuve quant à elle, impériale et bienveillante en pilier de ce drame social, introduit sans coup férir l'émotion dans le champ. On ne l'avait jamais vue dans un rôle aussi socialement impliqué. Alors que la Betty d'"Elle s'en va" délaissait ses occupations professionnelles et prenait la clé des champs, la Catherine Deneuve de "La tête haute" est bel et bien là pour Malony. Et même "belle et bien là", pour reprendre le titre d'un documentaire qui lui a été consacré, parfaitement à sa place dans un cinéma naturaliste français qui n'a que trop longtemps boudé l'égérie du plus enchanteur des cinéastes, Jacques Demy.
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