«La vraie star de Cannes 2015,
c'est elle !»
c'est elle !»
Elle ouvrira le Festival de Cannes 2015 avec sa réalisation «La tête haute», puis sera en compétition pour la Palme d'or avec le premier rôle de «Mon roi», le film de Maïwenn. L’édition 2015 est donc celle d'Emmanuelle Bercot, dont le nom sera désormais connu de tous. Rencontre avec cette actrice, réalisatrice et scénariste remarquable.
Vous ouvrez le Festival de Cannes en tant que réalisatrice avec La tête haute, puis revenez en compétition comme actrice dans Mon roi de Maïwenn. Ce n'est pas effrayant d'être au coeur d'un tel événement ?
Emmanuelle Bercot : Effrayant non. Mais je suis consciente que c’est exceptionnel… Et comme toutes les choses exceptionnelles, on sait que ça ne se reproduira pas donc on a envie d’en profiter. Ce n’est que positif. C'est plus de plaisir, pas plus de pression.
Cela fait quoi de passer en ouverture après plusieurs grosses productions hollywoodiennes très mal reçues ?
Emmanuelle Bercot : On parle des deux trois films des dernières années. Il paraît qu’ils n’étaient pas bien, j’ai pas vu les films incriminés donc je peux pas me prononcer ! Ce que je trouve extraordinaire déjà, c’est qu’il n’y a pas énormément de films français qui font l’ouverture. Cela fait 28 ans qu’il n’y avait pas eu une femme. Donc forcément ça me fait plaisir. Mais ce qui me touche le plus c’est que le sujet du film, et les gens à qui il tente de rendre hommage, soient mis en lumière de façon si ample, si prestigieuse.
Une réalisatrice en ouverture c’est tellement rare que même le communiqué de presse officiel vous a présenté comme la toute première. Alors que vous êtes la deuxième.
Emmanuelle Bercot : Oui oui (elle éclate de rire) ! Ce qui est fou c’est qu’on en soit encore à préciser ça. C’est dans le vent de parler de la place des femmes dans le cinéma, mais c’est fou de faire la distinction. Mais honnêtement je ne pense pas ce soit des considérations que Thierry Frémaux ait quand il regarde les films. On sait qu’il y a moins de femmes réalisatrices que d’hommes, c’est comme ça. C’est la réalité. Dans tous les cas, tant mieux si ça fait parler du film ! (rires)
D’ailleurs, des six femmes en sélection officielle, trois sont françaises (Valérie Donzelli, Maïwenn et vous). C'est étrange non ?
Emmanuelle Bercot : Et trois actrices en plus. Cela raconte des choses… (rires)
Entre le prestige d'ouvrir le Festival, et la déception de ne pas concourir pour la Palme d'or, qu'est-ce qui l'emporte ?
Emmanuelle Bercot : Je n’ai pas l’esprit de compétition de toute façon... Je comprends l’enjeu d’être en compétition et ce que ça aurait pu représenter pour nous, mais en même temps c’est tellement exceptionnel de faire l’ouverture avec un film comme celui-là, que je ne peux pas parler de déception. Ca me plaît bien d’être un peu en marge mais d’être là quand même.
Vous avez conscience du mythe cannois qui peut créer une star en une soirée ?
Emmanuelle Bercot : Je ne sais pas ce qui va se passer, mais je sais qu’à Cannes, une vie peut basculer…
Comment on se prépare à ça ?
Emmanuelle Bercot : Je me prépare à rien, je me laisse porter. J’essaie de prendre tout ça avec le plus de positivisme et disponibilité possible. Je sais que Cannes peut être très violent. C’est le théâtre de l’humiliation aussi Cannes. Je connais les deux revers de la médaille, j’ai des amis proches qui ont eu des Cannes difficiles. C’est à double tranchant. Là je vous avoue je ne suis pas très inquiète parce que je ne pense pas que Thierry Frémaux aurait choisi ce film pour faire l’ouverture s’il pensait que ça pouvait très mal se passer pour nous. On ne sait jamais mais j’ai décidé de lui faire confiance.
En plus de votre film, ceux de Jacques Audiard et Stéphane Brizé reflètent la réalité sociale de la France. Est-ce que Cannes a cette mission ?
Emmanuelle Bercot : On dit toujours que Cannes c’est la photographie du cinéma mondial à un moment donné, ça me paraît logique et souhaitable qu’il y ait des films pas militants mais engagés, qui parlent de la société dans laquelle on vit. Je crois que ça tient à cœur à Thierry Frémaux de représenter ce cinéma aussi je pense.
Comment le projet est-il né ?
Emmanuelle Bercot : L’idée est très ancienne. J’ai un oncle éducateur comme le personnage de Benoît Magimel, qui est donc inspiré par lui. Depuis que je suis petite j’entends parler de ces histoires, et j’ai toujours été fascinée par les questions de justice depuis enfant. C’est un sujet qui traîne depuis longtemps dans ma tête. Je suis parti d’une anecdote de mon oncle: ils avaient un petit jeune auquel il était très attaché, mais qui était très mal barré, et il y avait la juge des enfants proche de la retraite. Ils essayaient tous les deux de sortir ce gosse de la spirale de délinquance dans laquelle il était et un jour, mon oncle a dit à cette femme, « Moi je suis son père et toi sa mère ». Et elle lui a répondu, « Non, moi je suis son père, et vous vous êtes sa mère ». Je suis partie de là pour écrire le trio au centre du film.
Avoir un délinquant blanc, c’était un choix dès l’écriture ?
Emmanuelle Bercot : Oui. Avec ma co-scénariste Marcia Romano, on ne voulait pas stigmatiser le délinquant. Donc surtout pas issu de l’immigration, surtout pas dealer, d’ailleurs la drogue est totalement exclue, et il n’écoute pas de rap. Ce n’est pas un cliché. Cela nous paraissait essentiel pour que tout le monde se retrouve en lui, et surtout ne pas participer à ces clichés sur la délinquance des mineurs en France.
J'ai pensé à Mommy en voyant La tête haute. Une mère explosive, une deuxième figure maternelle, un ado torturé...
Emmanuelle Bercot : Ah oui ? J’y avais pas pensé ! Cela me va très bien (rires). J’ai adoré Mommy ça a été un choc. Jouissif. Dans un style tellement loin du mien…
Comment avez-vous trouvé Rod Paradot ?
Emmanuelle Bercot : C’est un casting sauvage, vraiment tout ce qu’il y a de plus classique. Il a été trouvé dans un lycée pro en CAP menuiserie, dans une banlieue. Il est à l’opposé du personnage. C’était d’ailleurs ça la difficulté de mon choix, car très loin du personnage qu’on a écrit. Mais il avait ce visage qui me plaisait. Il m’offrait aussi ce que je ne trouvais pas chez d’autres garçons : comme le film devait couvrir une longue période, de ses 6 à 17 ans, et que je voulais le même acteur entre 13 et 17 ans, lui avait cette jeunesse qui était crédible à tous ces âges. Cela m’a porté vers lui. Mais il n’est pas acteur, il ne sait pas composer, donc c’était compliqué. Je l’ai presque malmené pour l’amener hors de lui. Il est sociable, charmant, bien élevé. Et moi je tenais absolument à la violence du personnage. Il fallait pousser ça au paroxysme chez lui.
Vous teniez à avoir un acteur débutant ?
Emmanuelle Bercot : Oui ! Quand on écrit ce genre de personnage, le plaisir c’est de pouvoir révéler quelqu’un. J’aurais pu prendre un acteur inconnu du cours Florent mais ce que Rod a, c’est son phrasé, son parlé très populaire. Je ne suis pas certaine de pouvoir trouver ça au cours Florent. Et je tenais à cette crédibilité sociale.
A t-il été dur à convaincre ?
Emmanuelle Bercot : Non pas du tout ! N’importe quel jeune rêve d’être dans un film. Je trouve qu’on a une responsabilité quand on va prendre un gamin comme ça dans sa vie, en tant qu’adulte et cinéaste : que les choses soient bien claires avant le tournage, qu’il allait vivre quelque chose d’extraordinaire mais qu’il allait après retourner dans sa vie. Et que ça allait être dur. C’est ma plus grande préoccupation avec lui, qu’il comprenne bien ça. Ensuite, c’était qu’il ait son CAP menuiserie. Bon là je suis obligée d’avouer qu’il l’a pas eu … (rires) C’était la honte. J’ai été obligée de me dédire.
Face à lui, il y a Catherine Deneuve, que vous aviez dirigée dans Elle s’en va. Est-ce qu’on dirige encore une comédienne de cette trempe, ou est-ce qu’elle se dirige toute seule ?
Emmanuelle Bercot : Pas du tout. Surtout pas Catherine. Elle est très ouverte à tout ce qu’on peut dire. Elle se laisse diriger. Aucun acteur je pense n’aime être livré à lui-même. Y’a rien de pire. Catherine comme les autres aime qu’on fasse le travail à deux.
C’est indispensable d’avoir quelques stars pour financer un film comme La tête haute ?
Emmanuelle Bercot : Franchement je ne sais pas, j’ai jamais essayé de le monter sans eux. Peut-être que ça aurait été plus dur oui. Mais en même temps c’est la première fois que j’ai un scénario qui plaît autant chez ceux qui financent.
Votre ascension est très simple et naturelle : vous avez réalisé plusieurs courts-métrages, puis des moyens, avant de passer au long. Vous avez été peu à peu médiatisée, êtes arrivée aux César puis maintenant à Cannes. Un parcours modèle en somme.
Emmanuelle Bercot : Je trouve mon parcours un peu bizarre. Difficile de l'identifier. J’ai évité les montagnes russes en même temps, parce que j’ai très peur de monter très haut et de redescendre très bas. Je préfère monter lentement mais sûrement (rires). J’ai eu un parcours assez discret parce que je n’avais pas d’ambitions de notoriété. Je voulais juste faire ce métier, et en vivre. J’ai pas fait appel à des acteurs connus qui m’auraient permis d’être exposée très vite.
Une autre chose attire l’attention : votre famille de cinéma. Vous avez beaucoup travaillé avec Isild Le Besco, sœur de Maïwenn avec qui vous avez co-écrit Polisse, et qui vous dirige dans Mon roi.Votre compagnon est votre chef opérateur, votre fils était le héros d’Elle s’en va, qui lui a valu une nomination au César du meilleur espoir…
Emmanuelle Bercot : J’ai un esprit très famille ! Après c’est le hasard des liens. Je me suis retrouvée à travailler avec Maïwenn alors que j’ai été très liée à sa sœur, c’est étrange oui. J’aime bien quand les choses circulent comme ça. J’aime le travail en famille au sens large. J’ai quasi toujours la même équipe. Cela fait partie du côté artisanal que conserve le cinéma pour moi, ça fait partie de ce plaisir de la fabrication.
Vous avez été étonnée que Maïwenn vous offre le premier rôle de son film ?
Emmanuelle Bercot : Evidemment ! Quelle actrice de 46 ans ne serait pas surprise que quelqu’un commeMaïwenn en plus, avec le prestige qu’elle a aujourd’hui, lui propose un premier rôle ? Moi j’ai cru qu’elle était tombée sur la tête ! Mais en même temps, elle sait ce qu’elle fait…
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